11 mai 11:24

Le Diable s’habille en Prada à travers le droit du travail français

Pour tous les étudiants

Le diable s’habille en Prada s’est imposé comme un film culte pour beaucoup de générations, montrant l’envers du décors impitoyable et froid de la presse mode féminine. On ne présente plus le personnage de Miranda Priestly interprété par la génialissime Meryl Streep, mais sais-tu au moins que son comportement pourrait être condamné par le droit du travail français ? On décrypte pour toi.

Lauren Weisberger, l’auteur du livre dont est tiré le film, se serait inspirée d'Anna Wintour pour créer le personnage de Miranda Priestly. Charismatique, déterminée, manipulatrice, froide et tyrannique, ce ne sont pas les adjectifs qui manquent pour qualifier la grande Miranda Priestly. Mais derrière cette image de Rédactrice en chef du célèbre Runway, on note bon nombre d’actions et de comportement, qui, s’ils s’étaient passés en France, auraient été condamnés par le droit du travail et aurait fait l’objet d’un contentieux aux Prud’hommes.

Que ce soit Andrea, Emily, Nagel, tout le monde est aux ordres de Miranda. Mais quelles en sont les limites ? Il existe en droit français un devoir d’obéissance du salarié vis-à-vis de sa hiérarchie.  On entend par devoir d’obéissance du salarié à l’égard de l’employeur, la soumission à la direction du travail ainsi qu’à un certain nombre d’obligations dont le respect est parfois exigé après l’issue de la relation professionnelle. Mais ce devoir est limité aux strictes missions et taches du salarié prévues dans le contrat de travail et au respect des lois et règlements, aux libertés et droits fondamentaux (liberté d’expression, principe de non-discrimination, liberté de conscience…), au droit de retrait et à la clause de conscience dont jouissent certaines professions tels que les journalistes. De même, le salarié à l’instar de l’employeur est tenu d’exécuter le contrat de travail de bonne foi (art. L. 1222-1) et d’adopter, à l’égard de ses activités et de l’entreprise – ce qui inclut ses collègues –, une attitude de loyauté et de discrétion. Un manquement à ces devoirs constitue une faute disciplinaire. Andrea, Emily et Nagel obéissent à Miranda et font preuve de loyauté, mais aussi de discrétion. Donc rien ne peut leur être reproché sur ce plan, même s’ils pourraient invoquer leur clause de conscience, les missions de leur contrat de travail ou l’exercice de certaines libertés pour ne pas exécuter les ordres de Miranda. En revanche, cette dernière, en exigeant à n’importe quel moment tout et n’importe quoi, et en traitant chaque personne qui l’entoure comme un esclave, ne remplit pas son obligation d’exécution de bonne foi. 

À la suite du dépôt du « book » par Andrea en haut de l’escalier de Miranda, cette dernière menace de la licencier si elle ne trouve pas « le dernier manuscrit Harry Potter ». Qu’en est-il ? Est-il possible de licencier quelqu’un par une perte de confiance ou un motif qui n’a pas lien avec l’entreprise ou son efficience ? De l’appréciation de la compétence du salarié découlent deux motifs susceptibles de fonder le licenciement, l’inaptitude professionnelle et l’insuffisance de résultats que seule distingue la fixation d’objectifs négociés avec l’intéressé ou imposés par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction. Différents facteurs sont alors pris en compte : le temps accordé au travailleur afin de se familiariser à ses tâches, le caractère inadapté de celles-ci, l’organisation de l’entreprise, la réussite à des examens, etc. La perte de confiance éprouvée par l’employeur n’est pas, en tant que telle, un motif de licenciement. Est donc interdit le licenciement fondé sur le seul risque d’un conflit d’intérêts, par exemple. En revanche, le grief tiré de l’incompatibilité de vues est recevable dès lors qu’il repose sur des éléments précis consistant notamment, dans un dénigrement public émanant d’un cadre de haut niveau à l’égard de sa direction. Il en va de même d’une mésentente entre travailleurs ou encore avec le supérieur hiérarchique. 

Mais est ce qu’Andrea aurait pu être licenciée pour faute ? Le Droit du travail connaît différents niveaux de faute dont le choix revient à l’employeur. Tout licenciement disciplinaire doit être au moins fondé sur une faute sérieuse. Celle-ci repose sur un fait (suffisant) ou plusieurs faits exacts et vérifiables (art. L. 1232-1). Au-dessus de la faute sérieuse se situe la faute grave laquelle s’oppose à ce que le travailleur perçoive ses indemnités de rupture (art. L. 1234-1 et L. 1234-9). En outre, il est jugé de manière constante que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat d’une importance telle qu’elle en rend impossible le maintien pendant la durée du préavis. Difficilement un juge admettra que déposer une maquette de magazine en haut d’un escalier plutôt que sur une table à l’entrée soit une faute grave ou lourde et un motif sérieux de licenciement. De même que le fait de ne pas obtenir un manuscrit non publié pour les enfants de sa responsable. 

Miranda Priestly ne fait-elle pas vivre à Andrea ou à Emily du harcèlement moral ? 
Le harcèlement moral est caractérisé par des agissements répétés à l’encontre d’un salarié ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel. L’employeur doit prendre les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ou sexuel ou sexiste.  En effet, l’obligation de sécurité de l’employeur domine la mise en œuvre des règles relatives à la santé au sein de l’entreprise. Elle prend appui sur l’ensemble des devoirs que la loi met à la charge de l’employeur (art. L. 4121-1 et s.) à l’exécution desquels est associé le salarié.

« Je me suis dit : donne-lui sa chance, engage cette fille grosse et intelligente. » « Les détails de votre incompétence ne m’intéressent pas. » « Trouvez-moi un moyen de rentrer, faites votre travail. » (en plein Ouragan) « Allez ennuyer quelqu’un d’autre avec vos questions », coup de fil à n’importe quelle heure, du chantage… Autant de phrases assassines, d’actions qui qui peuvent non seulement altérer la santé mentale des personnages mais aussi porter atteinte à leur dignité. Cela pourrait donc caractériser un harcèlement moral. 

On peut citer à cet effet, l’arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2019 (n°18-14.317) : Dans cette décision, la Cour de cassation a confirmé qu'un salarié avait été victime de harcèlement moral au travail. Les juges ont considéré que les faits rapportés par le salarié, tels que des humiliations, des insultes répétées et des critiques dégradantes de la part de son supérieur hiérarchique, étaient suffisamment établis pour caractériser le harcèlement moral. De même l’arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 novembre 2018 : Dans cette décision, la Cour d'appel de Paris a jugé qu'une entreprise avait manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral au travail. La Cour a considéré que l'employeur avait failli à son devoir de protéger la santé et la sécurité de ses salariés en ne prenant pas les mesures nécessaires pour mettre fin à un comportement inapproprié de la part d'un manager envers un employé, notamment des propos humiliants et dégradants. De même, est constitutif d’un harcèlement moral le fait de surcharger une salariée et d’entretenir une attitude managériale poussant la salariée à un épuisement professionnel (CA Chambéry, 18 mars 2021).

Ainsi Miranda risquerait une sanction disciplinaire (C. trav., art. L. 1152-5) prononcée par son employeur, mais aussi une condamnation pénale puisque le harcèlement moral en entreprise est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende (article 222-33-2 du Code pénal). Quant à Emily et Andréa, victimes de harcèlement moral elles pourraient engager la responsabilité civile de Miranda (ou de l’employeur : Elias Clarke).

Bon tout ceci est évidemment hypothétique. Andréa semble trouver une contrepartie dans la garde-robe mise à sa disposition composée de pièces Chanel, Dior, Valentino ou Saint Laurent, de ses heures supérieures et de sa vie privée qui part en lambeaux. Et comme elle le répète, elle doit tenir « un an » et elle pourra travailler où elle veut.

Tu veux en savoir plus sur le droit du travail ? Consulte notre ouvrage « Droit du travail » de la collection Mémentos publié chez Gualino ou « Droit du travail » de la collection Manuels publié chez LGDJ. Et comme dirait Miranda, C'est tout.