23 Août 11:43

[Culture Pop ] Emily in Paris et les limites du droit

Pour tous les étudiants

Emily est devenue la plus parisienne des américaines, et surtout la plus connue à travers la planète. Série à succès de Netflix, on peut y suivre les aventures d’une américaine expatriée à Paris pour travailler dans le marketing. Entre déboires amoureux et vie professionnelle, l’héroïne surfe sur une vagues de clichés et de réalité idyllique qu’on adore. Mais il y a quelques limites juridiques qu’on s’est amusé à analyser.

On commence par quelque chose d’évident et que fait régulièrement Emily : prendre des photos ou des vidéos. Il n’y a aucun problème à ça, sauf quand elle photographie des personnes dans la rue sans recueillir leur consentement. On parle de droit à l’image. Le droit à l’image a été reconnu par la jurisprudence dès le XIXe siècle : une personne peut s’opposer à ce qu’un tiers prenne d’elle une photographie ou un film, et à ce que son image soit publiée dans la presse ou exposée à la vue du public. Chaque personne a droit à ce que son image ne soit ni reproduite ni publiée sans son autorisation. L’autorisation doit en principe être expresse. La reproduction des traits d’une personne sans son consentement est en principe fautive, en ce qu’elle constitue la violation d’un droit subjectif. La jurisprudence ne fait pas référence à l’article 1240 du Code civil, c’est-à-dire qu’elle n’exige pas la caractérisation de la faute et du préjudice. Le droit de s’opposer à la reproduction du document comporte des limites : d’une part, le droit à l’information justifie parfois leur diffusion, d’autre part, le lieu de la photographie peut justifier sa publication, ainsi la rue, la plage ou le stade ayant un caractère public, la reproduction de la photographie ne saurait alors être subordonnée à l’accord de chacune des personnes présentes. Il en va différemment si le lieu public n’est pas l’objet de la photographie mais le cadre dans lequel des personnes déterminées sont photographiées.

Tout le monde se rappelle de cet épisode où Emily et sa nouvelle copine de classe volent à la Samaritaine, haut lieu du luxe français. Au cours d’une séance de shopping, "Petra", la nouvelle amie d’Emily se rend dans les cabines du magasin pour essayer plusieurs vêtements. C'est à ce moment-là qu'elle lance à Emily : "J’adore gratuit !", et lui propose de s’enfuir en courant avec chapeau, sac et manteau. Certes voler c’est moche, surtout quand on se dit être à la pointe de la mode et du chic, mais c’est surtout une infraction sanctionnée par le code pénal. Le vol est « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui » (article 311-1 du Code pénal). Il consiste à s’approprier une chose ne nous appartenant pas à l’insu ou contre le gré de son propriétaire. Cette infraction s’établit sur trois éléments constitutifs : un objet, une soustraction et une intention. Si on revient sur les fait d’espèce, elles ont volé différents objets, délibérément et en ayant conscience de l’illégalité de leur geste. Elles risquent en vertu de l’article 311-3 du code pénal, trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Quitter son job du jour au lendemain. Ça c’est quelque chose qu’on a tous voulu faire un jour (ou ce que tu voudras peut être faire un jour) mais rares sont les situations qui le permettent. En général on est tenu à un préavis vis-à-vis de son employeur. La démission n’a pas à être motivée, mais elle ouvre droit au profit de l’employeur à des dommages et intérêts si elle est abusive. Le caractère abusif découle des circonstances qui entourent la démission. Il en va ainsi de la démission animée de l’intention de nuire à l’entreprise ou à l’employeur, ou de la démission procédant d’une légèreté blâmable. En revanche, n’a pas été considérée comme abusive la démission donnée par le salarié en vue d’exercer une activité concurrente. Le salarié qui ne respecte pas le préavis peut être condamné à verser à son employeur une indemnité compensatrice pour la durée du contrat restant à courir. Peuvent également s’ajouter, le cas échéant, en vertu de l’article 1237-2 du code pénal, des dommages et intérêts venant réparer le préjudice résultant d’une brusque rupture.

On reste en droit du travail avec le travail le weekend. Emily, ne lésine sur ses heures même si parfois on ne comprend pas trop en quoi consiste son travail. Mais même en weekend à Saint Tropez elle travaille et elle pousse le curseur de l’abus un peu trop loin. On parle de durée du travail effectif, c’est à dire le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Il est interdit de faire travailler un salarié plus de six jours par semaine (art. L. 3132-1), tandis qu’un repos hebdomadaire de vingt-quatre heures consécutives est accordé le dimanche (deux jours consécutifs pour les jeunes travailleurs sauf dérogation : art. L. 3164-2).Emily dans le cadre de ses fonctions ne rentrent pas dans les dérogations prévues par le code du travail (hôpitaux, hôtels, commerce de bricolage, commerce de détail alimentaire…). Et le droit à la déconnexion ? Il vise à garantir aux travailleurs le droit de se déconnecter du travail en dehors de leurs heures de travail officielles. Il reconnaît l'importance de préserver l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ainsi que le besoin de temps de repos et de détente pour la santé et le bien-être des travailleurs. Le droit à la déconnexion est entré dans le code du travail avec la loi travail du 8 août 2016 qui a imposé à l’employeur une obligation de négociation sur le sujet. Même si la loi n’encadre pas les modalités d’exercice ni la mise en œuvre du droit à la déconnexion, il n’en demeure pas moins que l’employeur doit faire le nécessaire pour que ses employés ne se connectent pas à leurs outils numériques professionnels et qu’ils ne soient pas dérangés en dehors des heures de travail. 

A un moment Emily frôle avec le droit du travail en travaillant avec deux agences en même temps en leur cachant, d’ailleurs cette double casquette. Mais ne sait-elle pas qu’on a une obligation de loyauté envers son employeur ? A priori non. Est-ce qu’elle a regardé dans son contrat de travail ou un accord s’il existait une clause d’exclusivité souvent répandue ? Pas sûr. Le cumul peut être interdit par dispositions conventionnelles : Convention collective, accord collectif, accord de branche, d'entreprise ou d'établissement applicables en droit du travail. Elles fixent les obligations et les droits de l'employeur et du salarié. ou par une clause dite clause d'exclusivité prévue dans le contrat de travail. C'est le cas lorsqu'une clause du contrat de travail interdit de cumuler son emploi avec une autre activité professionnelle (salariée ou non). De plus, le salarié à l’instar de l’employeur est tenu d’exécuter le contrat de travail de bonne foi (art. L. 1222-1). Mais le salarié, en outre, est tenu d’adopter, à l’égard de ses activités et de l’entreprise – ce qui inclut ses collègues –, une attitude de loyauté et de discrétion. Un manquement à ces devoirs constitue une faute disciplinaire. Tout travailleur est également soumis au secret professionnel (C. pén., art. 226-13 ; méthodes et procédés de fabrication) ainsi qu’au secret des affaires sous les exceptions que prévoit le Code de commerce (C. com., art. L. 151-1 et s.). De manière générale, il lui est interdit de révéler des informations confidentielles qui lui sont présentées comme telles et dont il a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions. Pour toutes ces raisons, en cumulant ces deux jobs dans des activités concurrentes, sans en avertir son employeur, Emily est clairement dans l’illégalité.

Arriver en hélicoptère chez quelqu’un. Alors oui dans les faits c’est super cool et ça peu impressionner, mais légalement il y a quelques règles à respecter. En dehors des aérodromes et des hélistations, les hélicoptères atterrissent ou décollent à partir d’hélisurfaces dont la définition et les règles d’emploi sont données dans l’arrêté du 6 mai 1995 relatif aux aérodromes et autres emplacements utilisés par les hélicoptères et dans la circulaire du 6 mai 1995 relative aux hélistations et hélisurface. Mais surtout avant d’atterrir sur un terrain privé il faut en demander l’autorisation au propriétaire. Or vu la tête de la famille de Camille quand l’hélicoptère arrive, pas sûr que tout le monde ait été prévenu.

Organiser un repas sur la voie publique. On se rappelle tous de cet épisode où ils fêtent l’anniversaire d’Emily sur une petite place à Paris en utilisant l’électricité de l’immeuble (bien sûr) et en décorant à leur goût les lieux. C’est vrai que ça donne envie et qu’on aimerait tous faire ça. Mais encore une fois, Mademoiselle Cooper s’est dispensée du respect des règles. Toute manifestation événementielle doit respecter les dispositions relatives à la publicité  telles que fixées par le Code de l’environnement et par le règlement municipal de publicité. À Paris, toute utilisation du domaine public pour y organiser des manifestations à caractère festif, sportif, commercial, caritatif ou culturel doit faire l'objet d'une demande auprès de la Préfecture de police qui examine et étudie le projet. Tu veux organiser ton anniversaire sur la place en face de chez toi ? Alors n’oublie pas d’en faire la demande, et on ne te promet pas que l’autorisation te sera accordée…

Espérons que la prochaine saison d’Emily in Paris soit plus réaliste… Mais en a-t-on vraiment envie ? Cela ne reste que de la fiction et une image certes faussée de la capitale française, mais comme tout film ou série. Et toi qu’en penses-tu ?