17 oct 10:43

Halloween : La jurisprudence autour du paranormal

Pour tous les étudiants

Qui dit automne dit Halloween, non ? Bien que cette fête soit largement célébrée outre-Atlantique, elle reste relativement discrète en France. Il semble intéressant à cette occasion d’aborder le paranormal sous le prisme de la justice. Au Moyen Âge et jusqu’à la fin du XVIIIe, il n’était pas rare de juger tout et n’importe quoi selon que ça se rapportait au surnaturel. Heureusement, depuis la révolution, la raison l’a emporté sur le mystique ou le religieux, et le droit pénal est devenu un droit rationnel avec une absence totale d’incrimination du paranormal. Mais parfois le surnaturel s’invite dans les tribunaux, et on te propose quelques affaires médiatisées qui en sont la parfaite illustration.

On commence cette série avec les maisons hantées.
STAMBOVSKY V. ACKLEY, 169 A.D.2D 254 (NY APP. DIV. 1991) Cour Suprême de l’Etat de New-York
Les faits : La vendeuse et sa famille ont vécu dans la maison en litige pendant de nombreuses années au cours desquelles, elle a pu rapporter l’existence de nombreux fantômes. La maison est située dans un village de 5 000 habitants situé dans l’État de New York. Les présences surnaturelles ont fait l’objet d’articles dans les journaux locaux et de visites guidées. Ignorant cette situation particulière et venant de New-York, l’acheteur signe une offre d’achat avec un dépôt initial de 5% du prix total. Le vendeur et le courtier n’ont pas mentionner les fantômes à l’acheteur. Quand il apprend l’éventuel côté hanté du bien, l’acheteur entame des procédures en résolution de la vente (appelées « action in rescission of a contract » en Common law) ainsi qu’en dommages et intérêts pour fausses représentations, à l’encontre de la vendeuse et de son courtier. Tu ignorais cette affaire ? ça ne s’arrête pas là. Le recours de l’acheteur est rejeté en première instance, et il interjette appel en prenant l’angle du devoir d’information du vendeur. Tu l’auras compris toute cette affaire ne consiste pas à déterminer l’existence ou non des fantômes mais bien sur les moyens de défense du vendeur la vendeuse qui sont d’abord le fait que les fantômes n’existent simplement pas (alors qu’elle affirmait le contraire précédemment) et ensuite le principe de “Caveat emptor” (c’est à l’acheteur de faire attention) qui ne s’applique pas quand le vendeur a sciemment caché un vice. 

Tu veux lire la décision ? C’est ici. 

C’est sous un trait d’humour et en citant le film Ghostbuster que les juges ont donné raison à l’acheteur en indiquant « Du point de vue d’une personne dans la position du demandeur ici présent, un problème très pratique se pose en ce qui concerne la découverte d’un phénomène paranormal : ‘Qui allez-vous appeler ?’ (who you gonna call ?), comme le demande la chanson titre du film ‘Ghostbusters' »

Moral de l’histoire, il est interdit de vendre une maison hantée dans l’Etat de New-York sans en informer l’acheteur.

Certains ont essayé d’utiliser l’argument de la maison hantée pour se déresponsabiliser… C’est ce qu’il s’est passé le 21 août 2014 dans une maison d’Amnéville (France). Des objets s’y étaient, à priori, fracassés et déplacés sans explication. L’enquête de police ouverte au commissariat de police d’Hagondange a établi que c’est Chantal Hachette, l’épouse, qui était à l’origine de tous ces désordres et non des fantômes comme elle l’affirmait. À l’issue de sa garde à vue, elle a été convoquée devant le tribunal correctionnel pour dénonciation mensongère.

Et les sorcières ?
En 2022, le Sénat du Massachusetts a réhabilité la dernière personne accusée de sorcellerie à Salem, plus de trois siècles après sa condamnation en 1692-1693. Suite à une démarche entreprise par des étudiants de l'État américain, Elizabeth Johnson Jr. a finalement été disculpée de manière officielle, mettant fin à sa fausse condamnation pour sorcellerie.

Accusée de sorcellerie par des résidents locaux et ultérieurement condamnée à la peine capitale, cette femme jeune de 22 ans au moment des événements avait été épargnée grâce à l'intervention du gouverneur William Phips. En 1693, le gouverneur avait mis un terme aux procès de Salem, une période marquée par une chasse aux sorcières intense. Cependant, contrairement aux 29 autres femmes déclarées coupables dans cette affaire, Elizabeth Johnson Jr. n'avait jamais été innocentée et avait toujours porté cette condamnation.
La sorcellerie n’étant ni un délit, ni un crime en Europe ou en Amérique, il n’existe aucune jurisprudence. Cependant il existe encore des pays qui incrimine la magie, la sorcellerie ou des faits occultes, comme au Cameroun, Gabon, Bénin, Mali, Centre-Afrique…

Les médiums : leur pratique peut tomber parfois sous le coup de l’escroquerie. L’article 313-1 du Code pénal réprime ainsi « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge » .

La Cour de cassation le rappelle régulièrement. Ainsi, la Chambre criminelle a rejeté le pourvoi contre un arrêt d’appel qui avait condamné un médium qui s’était fait remettre des sommes importantes d’argent – en espèces – au prétexte qu’elles constituaient le seul moyen d’intercéder auprès des esprits… (Crim., 12 septembre 2018, n° 17-86.475 ; dans un sens proche, Crim., 26 septembre 2012, n° 11-84.222)

Les exorcismes rendus célèbres par le film L’exorciste, sont rares dans les tribunaux. La dernière affaire en date remonte à novembre 2014 devant la cour d'Assises de Bobigny qui jugeait en appel quatre personnes originaires des Antilles ayant pratiqué une longue séance d'exorcisme sur une jeune femme. Ils avaient séquestré la victime dans un appartement de Grigny (Essonne) pendant sept jours sans manger ni boire, si ce n’est un mélange d’huile et d’eau administré par ses bourreaux. Les accusés, jugés pour « enlèvement, séquestration ou détention arbitraire avec torture ou acte de barbarie » ont été condamnés à des peines de quatre à huit ans de prison.

Une autre décision, de la Cour de Cassation, Chambre criminelle en date du 3 septembre 1996 rejette le pourvoi formé contre l’arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de DOUAI, en date du 8 mars 1996 qui a renvoyé devant la cour d'assises du NORD, Mohamed X... sous l'accusation de tortures ou actes de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner. En effet les accusés avaient pratiqué un exorcisme sur Louisa Y qui en est décédé. Tu peux consulter la décision ici. 

Mais la plus célèbre affaire juridique en matière d’exorcisme et le procès de l’exorcisme Anneliese Michel qui a donné lieu à un film « L’exorcisme d’Emily Rose ». Anneliese Michel est décédée suite à plusieurs exorcismes pratiquées sur elle par différents prêtres. Un procureur fit une enquête à la suite de laquelle les deux prêtres exorcistes et les parents d'Anneliese furent inculpés de négligence ayant entraîné sa mort. Les prêtres exorcistes firent écouter des enregistrements des différents exorcismes qu'ils avaient pratiqués, au cours desquels ils affirmaient pouvoir distinguer la voix de deux démons en train de se disputer, se demandant lequel des deux quitterait le premier le corps d'Anneliese. Les parents et les deux prêtres furent condamnés à 6 mois de prison avec sursis.

Pour les passionnés de possession et de droit, il y a l'affaire Arne Cheyenne Johnson au début des années 80. D'ailleurs Netflix a mis en ligne le documentaire événement « Le diable pour alibi » ce mardi 17 octobre qui s'intéresse à cette l'histoire qu'on appelle le « Procès du démon du Connecticut » ou « Procès de Arne Cheyenne Johnson ». Les faits évoqués dans le documentaire ont notamment inspiré le scénario du film « Conjuring 3 : Sous l'emprise du diable ». Cette affaire est une affaire de possession qui a affolé les médias de l'époque. Au début des années 80, Arne Cheyenne Johnson, 18 ans, et sa petite amie Debbie Glatzel emménagent à Monroe dans le Connecticut. En visite dans la maison, le jeune frère de Debbie, David est pris de visions. Selon les témoignages, notamment du couple Warren, le jeune homme de 11 ans semblait possédé par plusieurs démon (43 ! rien que ça !) Après plusieurs exorcismes sur David, les démons semblent élire (nous n'y étions pas donc nous ne pouvons confirmer cette hypothèse) domicile dans le corps d’Arne Johnson. C'est alors qu'il commence à changer de comportement. Le 16 février 1981, suite à un repas avec Alan Bono, le patron de sa fiancée, Arne le poignarde à plusieurs reprises. Une fois Arne arrêté, Debbie précisera aux enquêteurs avoir entendu deux voix distinctes dans la bouche de son fiancé juste avant le drame. Arne Cheyenne Johnson aurait dit « The Devil Made me do it! », littéralement : « Le Diable m'a forcé à le faire ! ». Le procès débute le 28 octobre 1981 devant la Cour Supérieur du Connecticut à Danbury. Le juge en place est Robert Callahan. Ce dernier rejette la thèse de la possession démoniaque et refuse de croire qu’Arne Johnson était sous l’influence d’un démon au moment du meurtre d’Alan Bono. Pour lui, il n’est pas question de mettre en place une telle défense, une défense aussi anti-scientifique. Alors, Martin Minnella, avocat de Arne fait valoir la légitime défense. Arne sera condamné de 10 à 20 ans de prison pour homicide involontaire au premier degré le 24 novembre 1981 par la Cour Supérieur du Connecticut à Danbury. Il sera relâché pour bonne conduite 5 ans après.

Moins dans le surnaturel, concernant les films d’horreur, la jurisprudence est un peu plus fournie. Pour n’en citer que deux. Le long métrage d’horreur Saw 3D chapitre final a perdu son visa d’exploitation en France. Le Conseil d’Etat a décidé en 2015 d’interdire à tous les mineurs ce film, et pas uniquement aux moins de 16 ans comme il l’avait fait depuis 2010. Le film est également interdit de diffusion et de ventes en DVD.

Autre décision, en avril 2019, une élève de collège dans le Rhône se sentait « traumatisée » après la projection en classe du film d'horreur « The Ring ». En réponse, ses parents avaient réclamé 11 000 € en indemnités pour réparer le préjudice subi. Cependant, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande le lundi 22 novembre 2021. Le tribunal a indiqué à l’époque dans un communiqué que la diffusion du film s’était accompagnée « d’un travail d’analyse et de réflexion » sur le thème du fantastique, au programme de quatrième et que ce travail pédagogique « visait à donner aux élèves les clefs de compréhension » et à leur permettre « de prendre le recul nécessaire ».

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Tu l’auras vu, le surnaturel n’est pas que dans les films ou les séries, il s’invite également au tribunal en France et à l’étranger donnant lieu à des décisions atypiques. Et toi, tu célèbres Halloween ?