Le 49.3 : on en entend parler, mais qu’est-ce que c’est ?

Le 49.3 c’est un peu le Voldemor de l’élaboration d’une loi. On en entend beaucoup parler mais on ne prononce que rarement son nom ou dans de rares occasions. Outil constitutionnel à disposition du gouvernement, il est largement abordé à l’occasion de la réforme des retraites. Mais qu’est-ce que c’est ? On te dit tout. Qui sait, peut être que ça fera l’objet d’une question à ton partiel de droit constitutionnel.
D’après l’article 49 alinéa 3 de la Constitution : « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une autre proposition de loi par session ».
À l’origine, l’article 49 alinéa 3 permettait au Premier ministre d’engager la responsabilité du gouvernement sur le vote d’un texte, qui pouvait être soit un projet de loi (ce fut toujours le cas à ce jour), soit une proposition de loi, et le gouvernement pouvait utiliser le 49.3 aussi souvent qu’il le souhaitait ; de plus, la question de confiance sur le vote d’une loi pouvait être posée sur tout ou partie du texte, à n’importe quel moment du débat législatif, et plusieurs fois sur le même texte à l’occasion de ses différentes lectures devant l’Assemblée nationale.
Or, le 49.3 a été encadré par la LC du 23 juillet 2008 ; en effet, le constituant dérivé a entendu limiter l’usage du 49.3 aux projets de LF, aux projets de LFSS, ainsi qu’à un autre projet ou à une proposition de loi par session, qu’il s’agisse d’une session « ordinaire » ou d’une session « extraordinaire » ; en outre, désormais, le vote intervient « en totalité » sur les projets ou propositions de loi concernés, et non plus sur « un texte » comme initialement, ce qui permettait alors de moduler la portée du mécanisme. Hier comme aujourd’hui, l’engagement de la responsabilité gouvernementale a pour effet immédiat d’interrompre les débats et, finalement, la procédure législative. Le texte de loi est considéré comme adopté par l’Assemblée nationale (alors qu’il n’a pas fait l’objet d’un vote !), sauf si les députés ripostent en déposant et en adoptant une motion de censure ; si la censure est adoptée le texte est rejeté, le gouvernement est renversé, mais l’Assemblée nationale risque fort d’être dissoute ! Le 49.3 est sans doute la meilleure illustration de la rationalisation du régime parlementaire sous la Ve République.
En politisant le débat législatif le Premier ministre met les députés devant l’alternative suivante : soit ils renversent le gouvernement, soit ils ne le font pas et – dans cette dernière hypothèse – le gouvernement obtient automatiquement le texte qu’il demande. Le 49.3 permet donc le « passage en force » d’un texte législatif, tout en rappelant à la discipline la majorité parlementaire.
Le 49.3 ne constitue donc pas comme on peut l’entendre parfois, un « déni de démocratie ».
Et en pratique comment ça se passe ?
La procédure emprunte, pour l’essentiel, aux dispositions du 49.1 et surtout à celles du 49.2. L’engagement de la responsabilité gouvernementale nécessite une délibération du Conseil des ministres. Puis, les députés disposent d’un délai de 24 heures pour riposter en déposant une motion de censure. Pour être recevable, cette motion de censure doit être signée par au moins le dixième des députés, mais un même député peut signer autant de motions de censure qu’il le désire dans le cadre du 49.3, l’Assemblée nationale étant ici provoquée par le gouvernement. Le vote ne peut avoir lieu que 48 heures après le dépôt de la motion de censure (délai de réflexion, et période utilisable par le Premier ministre et les ministres pour intervenir auprès des députés de l’opposition les moins virulents). Le vote a lieu au scrutin public et à la tribune. Enfin, seuls sont recensés les votes favorables à la motion qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée nationale (comme pour le 49.2, et les motivations du constituant sont les mêmes).
Et que devient la motion de censure ? Si une motion de censure est déposée, deux hypothèses se présentent : ou bien la motion de censure est adoptée et dans ce cas, le gouvernement est renversé et son projet passe à la trappe ou elle est rejetée et dans ce cas non seulement le gouvernement se maintient mais son projet est considéré comme adopté alors qu’il n’a pas été voté, ni même discuté.
Est-ce qu’il est souvent utilisé ? Et bien ça dépend, ça dépasse. Aujourd'hui il l'a été.
À ce jour, le Premier ministre a utilisé 100 fois l’article 49.3, et 15 Premiers ministres sur 23 y ont eu recours, principalement pour l’adoption de lois importantes. Le 49.3 a été utilisé sur 49 projets de loi différents. Il a surtout été mis en œuvre pendant la 9e législature : 39 fois et sur 19 projets de loi différents ; en effet, de 1988 à 1993 la coalition de formations politiques pourtant antagonistes (RPR-UDF et PCF) contre certains projets de loi ne pouvait qu’entraîner le rejet du texte ; l’article 49.3 a surtout permis au gouvernement Rocard II (23 juin 1988-15 mai 1991) d’obtenir les moyens financiers et juridiques qu’il estimait nécessaires pour mener à bien sa politique ; en l’occurrence, M. Rocard a eu recours au 49.3 à 28 reprises et sur 12 projets de loi différents. Elisabeth Borne, actuelle Première ministre vient d'engager ce jeudi 16 mars, la responsabilité du gouvernement par l'article 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites sans vote de l'Assemblée nationale.
Maintenant il n’y a plus qu’à croiser les doigts pour que ça soit un sujet de partiel, vu que tu es désormais incollable sur la question. Mais si tu veux en savoir plus, on t’invite à consulter le livre de cours en droit constitutionnel chez LGDJ, les cours de droit constitutionnel et d’institutions de la Ve République chez Gualino.