Le préjudice constitue-t-il un élément constitutif de l'abus de faiblesse ?
Pour les étudiants en
(Cass. crim., 16 déc. 2014)
Le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, réprimé par l'article 223-15-2 du Code pénal, exige l'abstention ou l'accomplissement d'un acte gravement préjudiciable au détriment d'une personne présentant un état de faiblesse ou de vulnérabilité au moment de réalisation de l'acte. Dans cette affaire, la victime du délit d'abus de faiblesse ou d'ignorance, présentant des déficiences physiques, a été conduite à rédiger un testament olographe instituant légataire universelle de l'ensemble des biens un tiers poursuivi pour abus de l'état de faiblesse. Le tribunal correctionnel considère que le délit n'est pas caractérisé et relaxe l'auteur des agissements. La partie civile fait appel de ce jugement. La cour d'appel confirme la décision de la juridiction de premier degré et déboute la victime de ses demandes. La Cour de cassation est saisie par un pourvoi de la partie civile et elle casse l'arrêt sous le visa des articles 223-15-2 du Code pénal et 1382 du Code civil. La chambre criminelle affirme la nécessité du préjudice pour la constitution du délit d'abus de faiblesse dans un attendu de principe en énonçant que « constitue un acte gravement préjudiciable ouvrant droit à réparation le fait pour une personne vulnérable de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne l'ayant conduite à disposition ».
Cass. crim., 16 déc. 2014
no 13-86620, PB
La Cour :
(...)
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 223-15-2 du Code pénal, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
« En ce que l'arrêt attaqué a débouté l'Institut Pasteur de ses demandes de partie civile, dirigées contre Mme X ;
Aux motifs que les libéralités susmentionnées, consenties par Andrée Y à Mme X, peuvent caractériser un potentiel abus de faiblesse par la seconde, à condition toutefois que les transferts financiers concernés aient été gravement préjudiciables à la première ; que concernant les modifications apportées en janvier et juin 2002 aux bénéficiaires des contrats d'assurance-vie, celles-ci n'ont pas été inclues par la prévention dans les actes constitutifs du délit visé ; que ces modifications, révocables à tout moment par la souscriptrice, constituent en effet un acte de disposition post mortem et sont donc insusceptibles de lui être gravement préjudiciables ; que le même raisonnement doit s'appliquer au testament visé par la prévention, la désignation d'un nouveau légataire universel, dénuée de tout caractère irrévocable, étant sans incidence aucune sur la disponibilité du patrimoine de la testatrice du vivant de cette dernière ; que par ailleurs il n'est pas contesté par la partie civile que le virement au bénéfice de Mme X de la somme de 40 000 € a été concomitant à la récupération par Andrée Y d'une somme, plus importante, de 68 768 €, qui avait été détournée au préjudice de la seconde par un conseiller financier indélicat ; que la défense fait valoir que cette libéralité constitue la contrepartie librement consentie de l'aide apportée à la victime de ces agissements, en butte au scepticisme de son entourage quant à la réalité de ces derniers, pour récupérer son bien ; que cette thèse est confortée par plusieurs éléments du dossier, et notamment par la condamnation pénale de l'auteur du détournement ; qu'il n'est ainsi pas établi que le virement incriminé ait été gravement préjudiciable à son auteur ; qu'enfin le don de pièces d'or, vendues par Mme X pour un montant de 13 570 €, ne constitue pas une gratification disproportionnée au regard du patrimoine de la donatrice et de la durée pendant laquelle l'intimée s'est occupée de cette dernière ; que, plus généralement, le montant des retraits effectués chaque mois sur le compte d'Andrée Y en 2002 et 2003, soit 1 000 €, n'excède pas de manière manifeste les besoins courants de l'intéressée ; qu'il n'est dès lors pas établi que les libéralités consenties par Andrée Y à Mme X lui aient été gravement préjudiciables ; qu'il convient donc de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté l'Institut Pasteur de ses demandes ;
1) alors que constitue un acte gravement préjudiciable pour une personne vulnérable celui de disposer de ses biens en faveur d'une personne qui l'a conduite à cette disposition, par testament ou par un acte n'ayant vocation à s'appliquer qu'après le décès ; qu'en estimant qu'il n'était pas établi que les libéralités consenties par Andrée Y à Mme X lui aient été gravement préjudiciables dès lors que, s'agissant des contrats d'assurance-vie instituant bénéficiaire Mme X ou du testament l'instituant légataire universel, ces actes, révocables à tout moment, étaient sans incidence sur la disponibilité du patrimoine de la testatrice ou souscriptrice du vivant de cette dernière, la cour d'appel a violé les textes visés ci-dessus ;
2) alors que le fait d'abuser de la particulière vulnérabilité d'une personne pour l'amener à souscrire un acte qu'elle n'a pas librement consenti occasionne nécessairement un préjudice ne serait-ce que moral ou psychologique à la personne dont la liberté a ainsi été abolie ; qu'en constatant l'état de particulière vulnérabilité d'Andrée Y, mais en estimant que les actes établis par cette dernière au profit de Mme X n'étaient pas préjudiciables dès lors qu'ils étaient révocables et n'avaient vocation à produire effet qu'après le décès de leur auteur, sans rechercher si ces actes litigieux n'avaient pas engendré un préjudice, moral ou psychologique, suffisant pour caractériser le délit dans tous ses éléments constitutifs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
3) alors qu'en toute hypothèse, il appartient aux juges du fond pour apprécier le caractère gravement préjudiciable des actes consentis d'envisager, dans leur ensemble et leur importance, les actes litigieux ; qu'il apparaissait ainsi qu'Andrée Y avait souscrit au profit de Mme X deux contrats d'assurance-vie d'une valeur de 160 000 € , qu'elle l'avait également instituée légataire universel, qu'elle avait, par ailleurs, effectué à son profit un virement de 40 000 € , qu'elle lui avait, encore, donné des pièces d'or pour une valeur supérieure à 13 000 € et que Mme X avait procédé sur le compte d'Andrée Y, pendant deux ans, à un retrait mensuel de 1 000 € en liquide, ces retraits s'étant poursuivis alors que Mme Y était en maison de retraite ; que pour considérer que les libéralités consenties n'avaient pas été préjudiciables à André Y, la cour d'appel a examiné chaque acte pris isolément ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, dans leur ensemble et par leur importance totale, les actes litigieux n'avaient pas été gravement préjudiciables à Mme Y, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et violé les textes susvisés » ;
Vu l'article 223-15-2 du Code pénal, ensemble l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que constitue un acte gravement préjudiciable ouvrant droit à réparation le fait pour une personne vulnérable de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne l'ayant conduite à cette disposition ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme X a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour avoir frauduleusement abusé de la situation de faiblesse d'Andrée Y en obtenant notamment qu'elle rédige à son profit un testament olographe l'instituant légataire universelle ; que le tribunal l'a relaxée ;
Attendu que, pour débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt retient que, si Andrée Y présentait, au moment des faits visés à la prévention, des déficiences physiques caractérisant un état de particulière vulnérabilité susceptible de la placer dans une situation de faiblesse, la désignation dans un testament d'un nouveau légataire universel, dénuée de tout caractère irrévocable, est sans incidence sur la disponibilité du patrimoine de la testatrice de son vivant ; que les juges en déduisent qu'un tel acte de disposition post mortem est insusceptible de lui être gravement préjudiciable ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, saisie sur renvoi après cassation des seuls intérêts civils, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation doit être encourue ;
Par ces motifs :
Casse et annule en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 septembre 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
(...)
À la lecture du texte d'incrimination, il apparaît que le délit d'abus de faiblesse cite formellement le préjudice. Dans l'espèce en cause, la victime présentant des déficiences physiques est amenée à rédiger un testament olographe instituant légataire universelle de l'ensemble des biens un tiers poursuivi pour abus de l'état de faiblesse. Cet acte révocable confère au prévenu l'ensemble des biens de la victime après son décès. Le tribunal correctionnel considère que le délit n'est pas caractérisé et relaxe l'auteur des agissements. La partie civile fait appel du jugement. La cour d'appel confirme la décision de la juridiction de premier degré et déboute la partie civile de ses demandes. Les juges constatent que l’auteur des agissements avait connaissance de l'état de faiblesse de la victime en raison de ses déficiences physiques. Toutefois, ils considèrent que l'acte est dénué de caractère préjudiciable, car il peut être révoqué et ne porte aucune incidence sur la disponibilité du patrimoine du vivant de la victime. La Cour de cassation casse l'arrêt sous le visa des articles 223-15-2 du Code pénal et 1382 du Code civil et souligne la nécessité du préjudice pour la constitution du délit d'abus de faiblesse.
Dans cette affaire, plusieurs questions de droit étaient soulevées. Dans un premier temps, il s'agissait de savoir si le préjudice était un élément constitutif du délit d'abus de faiblesse. Dans un second temps, il s'agissait de déterminer si l'établissement d'un testament olographe au profit d'un tiers l’instituant comme sa légataire universelle, est gravement préjudiciable conformément au libellé du texte. Et en dernier lieu, la réalisation de ce préjudice était-elle nécessaire pour la répression de l'abus de faiblesse ? L'arrêt de la Cour de cassation répond aux trois questions soulevées.
La haute juridiction considère que « le fait pour une personne vulnérable de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne l'ayant conduite à cette disposition » est un acte gravement préjudiciable. La solution de la Cour de cassation se situe dans la continuité des décisions rendues sous l'ancien article 313-4 du Code pénal (1) . L'arrêt rendu contient des réponses claires concernant les éléments nécessaires pour la constitution et la répression du délit d'abus de faiblesse. La décision apporte des précisions sur l'exigence du préjudice en tant qu'élément constitutif du délit d'abus de faiblesse ou d'ignorance (I) et sur l'inutilité du préjudice pour la répression de l'abus de faiblesse ou d'ignorance (II).
I. L'exigence du préjudice en tant qu'élément constitutif du délit d'abus de faiblesse ou d'ignorance
Conformément à la lettre du texte d'incrimination, la jurisprudence érige le préjudice au titre d'élément constitutif du délit (A). Elle renouvelle sa solution et confirme le caractère préjudiciable du testament (B).
A. Admission du préjudice au titre de l'un des éléments constitutifs du délit
Initialement, le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance et de faiblesse, créé par l'article 313-4 du Code pénal de 1994, incriminait les atteintes aux biens. Depuis la loi no 2001-504 du 12 juin 2001, l'infraction est réprimée par les articles 223-15-2 à 223-15-4 du Code pénal. La loi de 2001 a modifié la finalité du délit, dont l'objectif principal est de protéger le consentement et l'intégrité psychique de la victime, en délaissant le patrimoine de la victime. Le délit d'abus de faiblesse est consommé lorsque la situation de faiblesse d'un mineur ou de toute personne dont la vulnérabilité apparente ou connue de l'auteur, due à l'âge, une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est exploité par un tiers afin d'en tirer profit (2) . Les déficiences de la victime doivent être de nature à altérer son jugement.
Le texte d'incrimination et la jurisprudence exige que l'état de faiblesse ou de vulnérabilité de la personne soit apparent ou connu de l'auteur des agissements lors des faits (3) . L'auteur des agissements doit tirer profit de cet état de faiblesse (4) au préjudice de la victime. Dans notre cas, les juges du second degré indiquent que la victime présentait des déficiences physiques constituant une vulnérabilité. L'état de faiblesse de la victime ne faisait l'objet d'aucun doute. La difficulté de la décision résidait dans la constatation du caractère préjudiciable de l'acte.
L'article 223-15-2 du Code pénal pose en des termes clairs l'exigence d'un acte ou d'une abstention gravement préjudiciable à la victime. Au regard du texte de répression et de la jurisprudence, le critère d'appréciation du caractère préjudiciable est l'éventualité de nuire à la victime. Dans cette espèce, l'absence de préjudice constitue le fondement de la décision du tribunal correctionnel et de la cour d'appel. Les magistrats avaient estimé que la rédaction du testament olographe n'est pas préjudiciable, d'une part, parce qu'il est révocable et, d'autre part, parce qu'il ne prend effet qu'au décès du testateur. Ainsi, l'auteur du testament n'est pas considéré comme victime de cet acte. Aussi, les héritiers victimes dont les intérêts seront lésés à terme, disposent de l'article 901 du Code civil pour requérir l'annulation du testament pour insanité d'esprit du testateur. Ainsi, le préjudice, figurant parmi les éléments constitutifs du délit, faisait défaut. Dans une affaire présentant des faits similaires, la cour d'appel de Paris s'était prononcée dans le même sens sous l'article 313-4 du Code pénal et avait considéré que les intérêts des héritiers n'étaient pas lésés par un testament révocable (5) .
Cependant, la Cour de cassation n'a pas approuvé ce raisonnement. Elle affirme clairement que le préjudice figure parmi les éléments constitutifs du délit d'abus de faiblesse et qu'il est caractérisé en l'espèce.
B. Confirmation du caractère préjudiciable du testament
La Cour de cassation considère que l'établissement d'un testament en faveur de la personne ayant connaissance de l'état de faiblesse du testateur pour disposer de ses biens constitue un acte gravement préjudiciable. La haute juridiction, sous le visa des articles 223-15-2 du Code pénal et 1382 du Code civil, énonce que « constitue un acte gravement préjudiciable ouvrant droit à réparation le fait pour une personne vulnérable de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne l'ayant conduite à disposition ». Cette décision se situe dans la continuité de la jurisprudence. En effet, dans des espèces similaires, les juges avaient énoncé que « pour une personne vulnérable, l'acte de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne qui l'a obligée à cette disposition, constitue un acte gravement préjudiciable au sens tant de l'article 313-4 ancien que de l'article 223-15-2 nouveau du Code pénal » (6) .
La Cour de cassation précise le contenu du préjudice visé par l'article d'incrimination. Elle affirme sans ambiguïté l'exigence du préjudice parmi les éléments constitutifs de l'abus de faiblesse. La consommation du délit nécessite la présence de cet élément. Dans cette affaire, le préjudice caractérisé par la réalisation d'un testament en faveur d'un tiers est considéré comme gravement préjudiciable. Il importe peu que ce préjudice ne soit pas concrétisé par le décès de la victime. Le comportement de l'agent révèle une atteinte à la liberté de consentement du testateur, qui constitue la valeur protégée par le délit. Par ailleurs, la position de la Cour de cassation est révélatrice de l'évolution du délit sur le point du préjudice.
II. L'inutilité du préjudice pour la répression de l'abus de faiblesse ou d'ignorance
Le préjudice fait l'objet d'une évolution en droit pénal. En matière du délit d'abus de faiblesse, l'exigence du préjudice est vidée de son contenu (A) et la solution de la Cour de cassation confirme l'anéantissement jurisprudentiel du préjudice (B), notamment dans cet arrêt.
A. Exigence du préjudice vidée de son contenu
Le texte énonce expressément la nécessité du préjudice et l'érige au rang des éléments composant l'infraction. Toutefois, cette décision démontre à nouveau que l'exigence légale expresse du préjudice ne fait pas l'objet d'une application stricte. En effet, les juges n'exigent pas que l'acte soit valable ou que le préjudice soit réalisé (7) pour sanctionner le comportement au titre du délit d'abus de faiblesse. Sur ce point, la haute juridiction avait affirmé que « si l'article 313-4 du Code pénal prévoit que l'acte obtenu de la victime doit être de nature à lui causer un grave préjudice, il n'exige pas que cet acte soit valable, ni que le dommage se soit réalisé » (8) . Le préjudice est un élément constitutif du délit sans que sa réalisation effective soit exigée pour la répression.
La position de la Cour de cassation se justifie, puisque tout acte réalisé en abusant des vulnérabilités de la victime serait de nature préjudiciable. L'état de faiblesse, source de confusion et de mauvaise conception de la réalité, risque certainement de conduire la victime à consentir à un acte à son désavantage. Dans ces circonstances, il est légitime que la répression soit déterminée par l'acte gravement préjudiciable, sans tenir compte de la concrétisation du préjudice. Cependant, la solution est antinomique, puisque, en dépit du rôle attribué au préjudice par le législateur, sa démonstration ne constitue pas une condition de la répression. Ainsi, on peut s'interroger sur l'utilité du préjudice en tant qu'élément constitutif du délit d'abus de faiblesse ou d'ignorance. La réalisation de tout acte ou d'abstention dans les circonstances décrites par le texte d'incrimination de l'abus est intrinsèquement préjudiciable.
B. Solution confirmant l'anéantissement jurisprudentiel du préjudice
La décision de la Cour de cassation s'inscrit dans la perspective de l'anéantissement jurisprudentiel du préjudice pour la répression de certaines infractions, alors même que le législateur l'a érigé au rang des éléments constitutifs de certaines infractions. En effet, pour de nombreuses infractions telles que le faux en écriture (9) , l'escroquerie ou l'abus de confiance (10) , l'exigence du préjudice est délaissée.
Cette tendance apparaît avec évidence au sein du délit de faux en écriture, consommé par l'atteinte à la valeur protégée. Au sein du délit d'escroquerie, la Cour de cassation indique que « l'escroquerie peut exister alors que la victime n'a subi aucun préjudice » (11) .
Tout comme le faux, la jurisprudence énonce classiquement que « le préjudice, élément constitutif du délit, est établi dès lors que la remise n'a pas été librement consentie, mais extorquée par des moyens frauduleux » (12) .
En matière d'abus de confiance, la chambre criminelle n'est pas plus exigeante sur la constatation du préjudice. Elle prévoit que « l'existence d'un préjudice pouvant n'être qu'éventuel est incluse dans la constatation du détournement » (13) .
Elle considère que ce préjudice peut découler de la matérialité du délit (14) , et qu'il se déduit des faits sans qu'il soit nécessaire d'établir son existence par des termes particuliers (15) .
Une partie de la doctrine adhère à cette vision et considère qu'elle est justifiée (16) . Les solutions convergentes dans le cadre d'autres infractions et la doctrine révèlent une uniformité sur l'inutilité du préjudice en tant qu'élément constitutif de certaines infractions (17) . Le délit d'abus de faiblesse rejoint les infractions destinées à protéger le consentement et la liberté d'effectuer un choix en toute conscience.
À la différence des infractions réprimant les atteintes aux biens, l'abandon du préjudice se confirme pour un délit protégeant les personnes. Le contenu du préjudice réduit à néant, on peut se demander s'il est nécessaire de citer le préjudice parmi les éléments constitutifs du délit et de l'imposer lors de la répression des comportements. En sachant que l'abandon du préjudice serait à l'origine d'une double qualification avec le délit d'abus de faiblesse prévu à l'article L. 122-8 du Code de la consommation.
Article à retrouver dans la revue des Petites affiches du 29 mai 2015 n° 107, p. 12
(1) Cass. crim., 15 nov. 2005 : Dr. pén. 2006, 29, obs. M. Véron ; JCP G 2006, II, 10057, note J.-Y. Maréchal ; Rev. sc. crim. 2006, 833, obs. R. Ottenhof – Cass. crim., 12 janv. 2000, no 99-81057 : D. 2001, 813, note J.-Y. Maréchal ; Rev. sc. crim. 2000, 614, obs. R. Ottenhof ; RTD com. 2000, 741, obs. B. Bouloc.
(2) V. Rép. pénal Dalloz, vo Abus d'ignorance ou de faiblesse.
(3) Cass. crim., 26 mai 2009 : Bull. crim., no 104 ; Rev. sc. crim. 2009, 594, obs. Y. Mayaud ; D. 2009 ; AJ 1830, note A. Darsonville ; AJ pénal 2009, 357, obs. J. Lasserre Capdeville ; Dr. pén. 2009, no 118, obs. M. Véron.
(4) Cass. crim., 5 oct. 2004 : Bull. crim., no 233 ; AJ pénal 2005, 71, obs. J. Leblois-Happe ; Dr. pén. 2005, 1, obs. M. Véron.
(5) CA Paris, 4 mai 2000 : D. 2000 ; inf. rap., p. 191.
(6) Cass. crim., 15 nov. 2005, op. cit. – Cass. crim., 21 oct. 2008 : Bull. crim., no 210, D. 2009, 911, note G. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2009, 30, obs. J. Lasserre-Capdeville ; Rev. sc. crim. 2009, 100, obs. Y. Mayaud ; RTD civ. 2009, 298, obs. J. Hauser ; Dr. pén. 2009, no 12, obs. M. Véron.
(7) Cass. crim., 12 janv. 2000 : Bull. crim., no 15 ; D. 2001, 813, note J.-Y. Maréchal ; Dr. pén. 2000, no 69, obs. M. Véron ; Rev. sc. crim. 2000, 614, obs. R. Ottenhof ; RTD com. 2000, 741, obs. B. Bouloc.
(8) Cass. crim., 12 janv. 2000, op. cit.
(9) Cass. crim., 12 nov. 1998 : Dr. pén. 1999, comm. no 36 ; D. 2000, somm. p. 128, obs. M.-H. Gozzi ; v. également, Cass. crim., 24 mai 2000 : Bull. crim., no 202 ; D. 2000, inf. rap., p. 213. Dans cette dernière décision, la Cour de cassation énonce que «le préjudice auquel peut donner lieu un faux dans un acte authentique résulte nécessairement de l'atteinte portée à la foi publique et à l'ordre social par une falsification de cette nature». Cette conception est également valable pour les faux privés.
(10) Cass. crim., 5 mars 1980 : Bull. crim., no 81. V. également, Cass. crim., 26 oct. 1994 : Bull. crim., no 340 ; Rev. sc. crim. 1995, p. 582, obs. R. Ottenhof. La chambre criminelle considère que «l'exigence d'un préjudice souffert par la partie civile se trouve incluse dans la constatation du détournement d'une chose visée par l'article 408 et lui appartenant».
(11) Cass. crim., 26 déc. 1863 : Bull. crim., no 313 – Cass. crim., 18 nov. 1969 : Bull. crim., no 302 ; D. 1970, jur. p. 437, note B. Bouloc ; Rev. sc. crim. 1970, p. 398, obs. P. Bouzat.
(12) Cass. crim., 16 juin 2010, no 09-84036 : Juris-Data no 2010-014816.
(13) Cass. crim., 13 janv. 2010, J. Lasserre Capdeville : JCP G 2010, 500.
(14) Cass. crim., 5 mars 1980 : Bull. crim., no 81 – Cass. crim., 26 oct. 1994 : Rev. sc. crim. 1995, p. 582, et 1998, p. 551, obs. R. Ottenhof – Cass. crim., 3 déc. 2003 : Bull. crim., no 232 ; RTD civ. 2004, 266, obs. J. Hauser ; RTD com. 2004, 381, obs. B. Bouloc – Cass. crim., 11 oct. 2006 : Dr. pén. 2007, comm. 1, obs. M. Véron – Cass. crim., 13 janv. 2010, op. cit.
(15) Cass. crim., 26 oct. 1994 : Bull. crim., no 340 – Cass. crim., 3 déc. 2003 : Gaz. Pal. 2004, jur. p. 2605, obs. Y. Monnet.
(16) A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, Cujas, 1982, T. II, no 2307 ; dans le même sens : R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, Sirey, 1935, 3e éd., T. VI, no 2570 ; J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Cujas, 1995, no 833 ; W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, Dalloz, 2000, no 11, 4e éd. ; B. Bouloc, note sous Cass. crim., 18 nov. 1969 : D. 1970, jur. p. 439.
(17) M. Véron, «La répression du faux : du préjudice éventuel au préjudice virtuel» : Dr. pén. 1999, chron. no 7 ; M.-L. Lanthiez, «Du préjudice dans quelques infractions contre les biens» : D. 2005, chron. 464 ; Y. Mayaud, La résistance du droit pénal au préjudice, Mélanges B. Bouloc, Dalloz, 2006, p. 807 à 809.