09 avr 10:00

Décès : identité numérique et droit à l'oubli

Pour les étudiants en

M1

À l'ère du numérique où le virtuel façonne le lien relationnel et offre à l'internaute une identité intemporelle, il est temps de se questionner sur le sort des données personnelles en cas de décès. De même, on peut s'interroger sur le droit à l'oubli numérique qui n'est, à l'heure actuelle, mis en œuvre que du vivant d'une personne.

Le cycle de la vie confronte chacun de nous à la disparition d'un proche. Mieux vaut tard que tôt. Au-delà de l'émotion, une logistique se met rapidement en place : l'entreprise des pompes funèbres prend en charge l'enveloppe corporelle ; le notaire veille à ce que les biens du défunt soient transmis à ses héritiers et, le cas échéant, à ses légataires. Il s'assure également que les dernières volontés du défunt soient respectées s'il a laissé un testament.

Toutefois, la difficulté intervient au sujet des données numériques que le décès n'efface pas. Les informations divulguées sur internet survivent à leur titulaire ad vitam æternam. Le développement et la multiplication de réseaux sociaux participent à l'accroissement quantitatif des profils. À moyen terme, le nombre de profils de personnes décédées excédera même celui des personnes vivantes. Internet pourrait ainsi devenir un cimetière d'informations personnelles. C'est la raison pour laquelle il est conseillé d'être prudent de son vivant quant aux données que l'on publie sur le web. Il convient en outre de se demander ce qu'elles deviennent au décès. Est-il possible de prévoir leur suppression dans un testament ? Le droit à l'oubli numérique s'applique-t-il au-delà de la mort ?

 

I. Le sort des données numériques post mortem

La disparition d'une personne physique entraîne la transmission de son patrimoine à ses héritiers — et à ses éventuels légataires — dès le jour du décès, car ils sont juridiquement le prolongement de la personne du défunt. La succession est dévolue selon la loi (1) , ou par les libéralités s'il en existe.

Le testament est un document par lequel une personne dispose de la manière dont seront attribués ses biens suite à son décès. On pense immédiatement aux biens matériels, qu'ils soient meubles ou immeubles, mais l'on oublie souvent les biens immatériels. Or le patrimoine d'une personne ne se limite pas aux biens qui ont une existence physique. Il comprend également les biens tangibles tels que les données informatiques. Ces dernières sont soumises à un régime spécifique de survie qui exclut leur transmission à cause de mort.

Les prérogatives des héritiers sur l'identité numérique du défunt sont fortement limitées par la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (2) . Celle-ci ne prévoit pas la transmission des droits d'accès, de modification et de suppression à leur profit.

Le problème ne se pose évidemment pas lorsque les successibles ont connaissance des sites susceptibles de stocker des informations personnelles du défunt ainsi que des identifiants et mots de passe leur permettant d'accéder aux profils sur les réseaux sociaux et aux boîtes de messagerie. Malheureusement, cela est rarement le cas.

Toutefois, en justifiant de leur état civil et de leur qualité d'héritier, ils peuvent demander l'actualisation des données faisant l'objet d'un traitement en exigeant qu'il soit tenu compte du décès. Le responsable du traitement doit ensuite justifier qu'il a procédé à la mise à jour requise sans frais pour le requérant.

Faute de testament prévoyant l'effacement des données personnelles du défunt, celles-ci restent visibles sur la toile. Un réseau social n'étant pas autorisé à supprimer arbitrairement un compte, il est vivement recommandé d'indiquer dans un testament, d'une part, si l'on souhaite que les données soient désactivées ou supprimées et, d'autre part, l'identité d'une personne de confiance qui s'en chargera auprès des plates-formes existantes le moment venu.

À l'heure actuelle, de nombreux sites ont mis à disposition un formulaire permettant aux héritiers de signaler un décès.

Ainsi, Facebook propose de transformer le profil en compte de commémoration sécurisé et d'en assurer la confidentialité. De surcroît, les membres de la famille proche du défunt peuvent demander la suppression du compte après avoir justifié de leur lien de filiation immédiat. Si la requête est acceptée, le journal concerné et tout le contenu associé seront supprimés et ne pourront plus être consultés.

Pour certains de ses produits, Microsoft a créé la procédure « Parents proches ». La demande doit être accompagnée d'un dossier complet pour permettre des vérifications sur l'état du compte et le lien de parenté du requérant. Si elle est acceptée, un DVD contenant l'intégralité des données du compte du défunt et des instructions détaillées est expédié au demandeur. Le mot de passe ne peut toutefois ni être délivré, ni être modifié.

Twitter traite la demande de suppression du compte d'un utilisateur décédé qui est formulée par une personne habilitée à agir dans le cadre de la succession ou par un membre de la famille. Il statue au cas par cas en fonction de facteurs d'intérêt public, tels que l'intérêt médiatique du contenu. Suite à la publication de photographies retouchées mettant en scène la mort de l'acteur et humoriste américain Robin Williams le 11 août 2014, Twitter a, en outre, décidé de modifier son règlement intérieur. Il est désormais possible de demander le retrait des images et des vidéos d'une personne décédée. Mais, à l'instar de Microsoft, il ne communique pas les éléments de connexion même aux proches du défunt.

Google mise sur l'anticipation et la liberté individuelle de déterminer de son vivant le sort de ses comptes via le gestionnaire de compte inactif. Il est tout d'abord possible de fixer le délai à l'expiration duquel le compte doit être considéré comme inactif faute de connexion. La fin du délai est rappelé au titulaire du compte par texto ou par e-mail. Celui-ci peut également lister une dizaine de personnes de confiance qui seront alertées de ce terme avec la faculté de partager les données avec elles. Enfin, il est possible de programmer la suppression des comptes et de toutes les informations associées, bien que l'on ne puisse généralement prédire à l'avance la date de son décès.

Les conditions générales de l'iCloud d'Apple (service de stockage en ligne) incluent la clause « Pas de gain de survie », selon laquelle l'utilisateur accepte que son compte soit non transférable et que ses droits prennent fin à son décès. L'envoi d'une copie de l'acte de décès permet en principe d'obtenir l'annulation du compte et l'effacement de son contenu.

 

II. Le droit à l'oubli numérique post mortem

La contrainte liée à la nature de l'identité numérique réside dans le fait qu'elle est stockée, recopiée et enregistrée sur des supports immatériels de manière permanente, tout autant que si les informations étaient retranscrites au marqueur indélébile. Plus grave encore, les données personnelles qui la constituent sont disséminées par les vents du web comme les aigrettes d'un pissenlit.

Au fil des mois, la réflexion sur le droit à l'oubli numérique ne cesse de s'enrichir au niveau européen. Les moteurs de recherche Google, Microsoft et Yahoo ! ont été conviés à se joindre à la réunion du groupe de travail Article 29 sur la protection des données (G29) (3) le 24 juillet 2014 à Bruxelles.

Les problématiques liées au déréférencement d'une personne vivante ont été examinées dans le but de déterminer des lignes directrices harmonisées au sein de l'Europe. Ces moteurs de recherche ont été interrogés sur leur manière de mettre en œuvre les principes de la directive européenne no 95/46/CE (4) et ceux de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (5) , suite à l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (6) le 13 mai 2014.

Dans cette affaire, M. Consteja González avait introduit auprès de l'Agencia Española de Protección de Datos une réclamation à l'encontre de La Vanguardia Ediciones SL et, une autre, à l'encontre de Google Spain et de Google Inc. Il résultait d'une recherche par son nom des pages web du quotidien sur lesquelles figurait une annonce de vente aux enchères immobilières. En recouvrement de dettes de sécurité sociale, un créancier avait saisi et mis aux enchères un des biens de M. Consteja González qui estimait que la diffusion sur internet de ces informations lui causait un préjudice.

En son article 2 sous b), la directive susvisée précise que l'activité d'un moteur de recherche consistant à trouver des informations publiées ou placées sur internet par des tiers, à les indexer de manière automatique, à les stocker temporairement et, enfin, à les mettre à la disposition des internautes selon un ordre de préférence donnée doit être qualifiée de « traitement de données à caractère personnel », pour autant que ces informations contiennent des données à caractère personnel. En outre, le moteur de recherche doit être considéré comme le « responsable » dudit traitement selon le d) du même article.

Si la réclamation à l'encontre de La Vanguardia Ediciones SL a été rejetée au motif que la publication avait été ordonnée par le ministère du Travail et des Affaires sociales, la seconde a été accueillie favorablement. En effet, considéré comme responsable du traitement de ces données, le moteur de recherche est obligé, dans certaines conditions, de supprimer de la liste des résultats, affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir du nom d'une personne, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne.

L'une des questions soulevées par l'arrêt précité du 13 mai 2014 est celle de savoir ce qui prime entre, d'une part, l'intérêt personnel du requérant et, d'autre part, l'intérêt économique de l'exploitant du moteur de recherche et l'information du public. On pourrait penser que le droit au respect de la vie privée prévaut sur tout autre droit d'ordre général. Dès lors, peut-on considérer que toute personne pourrait demander l'effacement des informations la concernant sur un moteur de recherche ?

Suite à cette décision de la Cour de justice de l'Union européenne, Google a mis en place un formulaire en ligne permettant de demander le déréférencement des informations — et non leur suppression — à condition de justifier et de suffisamment motiver sa requête. Toutefois, Google n'est pas tenu d'y répondre favorablement. À ce jour, les internautes français ont adressé plusieurs milliers de demandes à la société, laquelle a accédé à moins de la moitié de celles-ci... Même si la mesure constitue un premier pas vers le droit à l'oubli, elle ne semble pas répondre de façon satisfaisante aux attentes des utilisateurs du moteur de recherche.

Depuis cet arrêt crucial du 13 mai 2014, deux solutions ont été apportées dans le cas où la page web divulguant les données personnelles porte atteinte à la vie privée d'une personne. La première, la plus recommandée, consiste à demander leur suppression au site d'origine ; ce qui garantit non seulement le déréférencement sur les moteurs de recherche mais également l'effacement définitif des données concernées. La seconde prévoit de demander cette suppression directement au moteur de recherche.

Aussi, pourrait-on envisager d'extrapoler ce droit au déréférencement au-delà de la mort de l'internaute ? Est-il possible de nommer un exécuteur testamentaire chargé d'obtenir le déréférencement ou l'effacement des informations qui nuiraient à l'image ou à la réputation du testateur ? Dans l'affirmative, comment seraient définis ses pouvoirs ?

L'apparition des cimetières 2.0 va à contre-sens d'un droit à l'oubli reconnu post mortem. Il s'agit de l'installation, sur la pierre tombale, d'un boîtier équipé d'un « QR code » dont le scan renvoie à des textes, photographies et vidéo du défunt. Bien que le concept ne remporte pas tous les suffrages en France, il est fort probable que le nombre de tombes interactives se multiplient à l'avenir.

Le droit à l'oubli post mortem pose donc de nombreuses questions qui doivent faire l'objet de nouvelles discussions tant au niveau national qu'au niveau européen. Parmi celles-ci : comment faire respecter le droit à l'oubli après sa mort ?

Article à retrouver dans Les Petites Affiches, 26 mars 2015 n° 61, P. 4 ou sur Lextenso.fr (via votre Environnement numérique de travail)


(1) L. no 2001-1135, 3 déc. 2001, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral : JO 4 déc. 2001, art. 18, modifiant les articles 720 et suivants du Code civil.
(2) L. no 78-17, 6 janv. 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés : JO 7 janv. 1978, art. 40.
(3) Organe consultatif européen indépendant sur la protection des données et de la vie privée dont le nom évoque l'article 29 de la directive no 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, 24 oct. 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données : JO 23 nov. 1995, p. 0031-0050, en anglais Article 29 Data Protection Working Party.
(4) Dir. no 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, 24 oct. 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données : JO 23 nov. 1995, p. 0031-0050, art. 2 sous b) et d), 4, § 1 sous a), 12 sous b) et 14, 1er al. sous a).
(5) Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 7 déc. 2000, no 2000/C 364/01, art. 7 et 8 : JOCE 18 déc. 2000.
(6) CJUE, 13 mai 2014, no C-131/12, Google Spain SL, Google Inc. vs Agencia Española de Protección de Datos (AEPD), Mario Costeja González.

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