Le travail dominical
Pour les étudiants en
Cet article a été publié dans le cadre d'un dossier paru dans la revue des Cahiers sociaux du 1er octobre 2015 (n° 278)
En insistant sur le volontariat pour autoriser le travail le dimanche dans le cadre des nouvelles dérogations qu'elle aménage sur un fondement géographique, la loi Macron est dans le sens moderne du volontarisme libéral, véhiculant l'idée que la liberté des salariés consentants ne doit pas être bridée par la généralité d'un principe contraignant au repos dominical. Inépuisable formule qui fait toujours recette, faisant de la liberté individuelle le valet de la liberté d'entreprendre.
La lecture des dispositions de la loi Macron relatives au travail dominical rassure et intrigue. Elle rassure car le principe du repos dominical demeure intact et n’est même pas à première apparence ébréché par ce que la loi présente elle-même comme des dérogations. Mais elle intrigue parce qu’on ne sait pas vraiment s’il faut voir dans ces nièmes dérogations un nouveau traitement de la polémique suscitée par le travail dominical ou des semis qui préparent de futures récoltes. Une chose est sûre : bien qu’elle comporte un volet de droit social important, la loi Macron se cantonne, dans sa partie traitant du travail dominical, à un secteur d’activité spécifique, qui est celui du commerce. Cette destination du texte signale d’emblée que l’extension des aménagements autorisés concerne d’abord l’ouverture de commerces le dimanche pour le bénéfice supposé des consommateurs qui le deviennent désormais à temps plein. Ce n’est que subséquemment, parce que les commerces occupent des emplois salariés, que le texte envisage, dans la mesure nécessaire à l’activité des entreprises, la possibilité de travailler le dimanche.
La loi ne fait à cet égard pas mystère du caractère dérogatoire des dispositions libérales adoptées en la matière. Le chapitre regroupant les dispositions afférentes au travail le dimanche s’intitule – on ne peut être plus clair – « Exceptions au repos dominical et en soirée ». La règle demeure donc bien celle du repos dominical conformément aux dispositions de l’article L. 3132-3 du Code du travail qui énoncent que « dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ». La justification de la règle par l’intérêt des salariés pourrait suggérer que le principe a une valeur absolue, s’agissant d’un intérêt collectif à garantir indépendamment des intérêts personnels des travailleurs. Mais le Conseil constitutionnel a implicitement refusé de reconnaître au repos dominical, à la différence du repos hebdomadaire, la valeur d’un principe fondamental : il a estimé qu’en prévoyant que le droit au repos hebdomadaire des salariés s’exerce en principe le dimanche, le législateur a entendu opérer une conciliation entre la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et le dixième alinéa du Préambule de 1946 qui dispose que « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ((Cons. const., 6 août 2009, n° 2009-588), § 3). Le repos dominical n’ayant pas normativement la valeur d’un principe constitutionnel, le législateur a la faculté d’y déroger.
Dès la loi du 13 juillet 1906, qui a posé la règle d’un jour de repos hebdomadaire fixé le dimanche, des dérogations étaient d’ailleurs déjà aménagées. C’est en conséquence dans ce sillage que se situe la loi Macron qui, pour être un texte féru de libéralisme économique, est apparemment plus emblématique de la continuité d’une politique dérogatoire que réellement régressif sur le sujet au point de vue du droit social. Respectueuse de l’ordonnancement de la règle et de l’exception, elle n’emprunte cette dernière, certes pour l’élargir, que dans un secteur d’activité particulier et dans un objectif spécifique, pour satisfaire des considérations consuméristes. C’est ce que l’on retient en premier lieu, un peu paradoxalement, de la loi : elle confirme le principe du repos dominical, intuitu materiae, pour toutes les activités salariées qui n’entrent pas dans le domaine d’application du texte et, pour celles qui en relèvent, toutes les fois que les conditions de l’exception ne sont pas réunies. La loi pérennise également le principe, intuitu personae, vis-à-vis des salariés du secteur concerné qui ne souhaitent pas travailler le dimanche. C’est sur la base du volontariat qu’il peut être dérogé à la prise du repos hebdomadaire le dimanche.
Il ne faudrait cependant pas minorer, au prétexte de leur caractère dérogatoire, les exceptions aménagées pour permettre le travail dominical. Le canal dérogatoire peut présenter le risque de saper les assises du principe au point d’en entraîner le délitement. La loi Macron doit, dans ces conditions, être auscultée sous cet angle également afin de prendre la mesure de l’espace qu’elle ouvre effectivement au travail dominical et de regarder si, au-delà de la partie visible du texte étendant les exceptions autorisées à des conditions opératoires variables, l’entaille n’est pas en réalité plus profonde qu’il n’y paraît.
I. L’intangibilité du principe du repos dominical
La loi Macron n’autorise pas directement le travail dominical ; elle étend, ce qui n’est pas exactement la même chose, les exceptions au repos dominical. Le sens des règles demeure donc inchangé, encore que l’on ne puisse se fier aveuglément à l’intention affichée par le législateur. La loi Maillé du 10 août 2009 annonçait être une loi « réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires ». Or, seule la seconde séquence avait donné matière au texte. La question est donc moins celle de la hiérarchie formelle du principe et de l’exception que de la répartition substantielle entre l’un et l’autre. À cet égard, la loi Macron s’inscrit dans un courant libéral qui ne débouche cependant pas sur un bouleversement des arbitrages préexistants. Mais le texte, après d’autres, met à l’épreuve la généralité du domaine du principe qui n’est plus conçu de façon uniforme, aussi bien d’un point de vue matériel que d’un point de vue personnel.
A. La généralité du domaine matériel du principe du repos dominical
On a encore en mémoire la polémique sur l’ouverture des enseignes de bricolage le dimanche. À son terme, deux décrets du 30 décembre 2013 et du 7 mars 2014 avaient autorisé les établissements de vente au détail d’articles de bricolage à déroger à la règle du repos dominical. Saisi de recours formés par plusieurs organisations syndicales contre ces textes, le Conseil d’État les a rejetés en considérant que l’ouverture dominicale de ces établissements est nécessaire à la satisfaction des besoins du public dans la mesure où ils permettent la réalisation d’activités de loisirs correspondant à la vocation du dimanche. Autrement dit, parce que le bricolage constitue un loisir dominical pour une partie des français qui doivent pouvoir procéder, le jour même, à des achats de fournitures nécessaires, la dérogation au principe du repos dominical est légitime ((CE, 24 avr. 2015, n° 374726) : (Cah. soc., avr. 2015, p. 193, n° 116a0)). Tout est dit : les loisirs des uns justifient le travail des autres.
Le constat n’a pas de connotation manichéenne : à chacun son opinion sur le juste et l’utile de la mesure. Celle-ci n’en est pas moins révélatrice de la logique à l’œuvre consistant à adapter les règles du droit du travail à des impératifs d’ordre économique, mariant la force des intérêts des consommateurs à ceux du marché. La loi Macron leur emprunte à son tour ces ressorts : il s’agit moins de favoriser le travail dominical que de répondre aux attentes consuméristes et à la dynamique libérale du commerce dans une économie de marché. La satisfaction des intérêts des consommateurs et des entreprises qui en font leur profit fait passer au second plan le principe du droit social, dont la généralité paraît en décalage avec l’aspiration à un quotidien marchand. Sans doute, d’autres activités économiques sont susceptibles de bénéficier de dérogations pour leur exercice ; mais la loi Macron fait progresser l’idée que la fermeture de commerces de détail le dimanche est l’application d’une règle obsolète dans un environnement où la normalité est que la société de consommation soit en activité permanente. Si le premier pas est de définir des zones géographiques au sein desquelles les commerces sont susceptibles de bénéficier de dérogations, la multiplication ou l’extension de ces zones, dont la délimitation est confiée à l’autorité administrative, permettra de faire prospérer l’exception avec l’effet induit d’une banalisation de l’ouverture des commerces et du travail dominical. Ainsi secondarisé, le principe du congé dominical offre d’autant moins de résistance que c’est sur la base du volontariat que les travailleurs du dimanche exercent, dans leur propre intérêt, leur activité. Somme toute, le travail dominical fédérerait les intérêts des entreprises, des consommateurs et ceux des salariés.
B. La généralité du domaine personnel du principe du repos dominical
Qui n’a pas entendu s’exclamer : pourquoi s’opposer au travail dominical lorsque les travailleurs sont consentants et y trouvent un avantage pour eux-mêmes ? Étudiants, employés intéressés par la bonification salariale, personne en recherche d’emploi à quelque condition que ce soit... Pourtant, on ne peut s’arrêter à la prise en compte des intérêts individuels – aussi légitimes soient-ils – des volontaires du travail dominical. Dans un esprit de liberté individuelle, chacun est prompt à braver les interdits collectifs et à considérer que le droit au travail doit également s’entendre comme le droit de travailler le dimanche. Spécialement, à partir du moment où les intérêts respectifs du salarié et de l’entreprise concordent, qui contestera que la consolidation de leurs intérêts convergents doit prévaloir sur un intérêt collectif abstrait, incompris pour la sujétion qu’il impose aux volontés individuelles ? Cette culture du « droit de » ou de la « liberté de » est d’ailleurs savamment entretenue en coulisses par les tenants du libéralisme économique, vifs à dénoncer un droit du travail empêchant de travailler plus ou autrement. Relayé par le discours politique vantant les mérites du volontarisme libéral, le propos est néanmoins foncièrement démagogique. À le suivre à la lettre, toute personne devrait être libre de travailler – et d’être rémunérée en conséquence – sans prendre les repos journaliers et hebdomadaires qu’impose la loi ; elle devrait aussi pouvoir monnayer sans limite ses congés… Dans ses retranchements, la liberté a cependant tôt fait de devenir un cache-misère pour celles et ceux poussés à l’exercer par la contrainte économique. Et, pour les autres, pour qui le travail le dimanche est effectivement un choix, une préférence, il n’est pas rétrograde d’opposer à la liberté individuelle des principes dont la valeur sociale postule leur généralité. Même dans une société gorgée d’individualisme, la liberté, en ce domaine comme en d’autres, n’est pas un faire-valoir de ses choix personnels mettant chacun en puissance de ne pas s’estimer lié par des règles d’organisation sociale.
Les syndicats étaient donc dans leur rôle, et le demeurent, en défendant le principe de la prise du repos hebdomadaire obligatoire le dimanche. En s’opposant à l’ouverture le dimanche de magasins de bricolage, ils agissaient dans l’intérêt collectif des travailleurs, quels que fussent les intérêts individuels des salariés consentants. La Cour de cassation l’a dit à sa manière en reconnaissant que « l’action introduite par un syndicat sur le fondement de la défense de l’intérêt collectif des salariés de la profession qu’il représente, (…) est recevable du seul fait que ladite action repose sur la violation d’une règle d’ordre public social ; que la circonstance que les salariés d’une entreprise ou d’un établissement sont consentants pour travailler le dimanche est sans incidence sur le droit d’agir du syndicat qui poursuit la réparation d’une atteinte à l’intérêt collectif de la profession en présence d’une méconnaissance du repos dominical » ((Cass. soc., 22 janv. 2014, n° 12-27478) : Bull. civ. V, n° 31). Elle avait jugé auparavant, pour rejeter une QPC portant sur la constitutionalité de l’article L. 3132-3 du Code du travail qui fixe le dimanche comme jour de repos hebdomadaire, que ces dispositions, édictées dans un but de préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs et de protection des liens familiaux, n’ont pas pour effet de porter à la liberté contractuelle une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ((Cass. soc., 5 juin 2013, n° 12-27478) : Bull. civ. V, n° 149).
Il n’en demeure pas moins que, en insistant sur le volontariat pour autoriser le travail le dimanche dans le cadre des dérogations qu’elle aménage – ce qui paraît a priori vertueux – la loi Macron conforte l’idée que la liberté des salariés consentants ne doit pas être bridée par la généralité d’un principe contraignant au repos dominical. De fil en aiguille, la liberté individuelle pourrait constituer un levier pour légitimer de nouvelles exceptions sans même avoir conscience qu’elle n’est que le valet de la liberté d’entreprendre, de la liberté du commerce qui s’en sert de caution.
II. L’aménagement dérogatoire du travail dominical
On ne peut faire l’économie d’une présentation des nouvelles mesures de la loi Macron qui, répétons-le, se destinent avant tout à favoriser l’ouverture de commerces le dimanche pour le bénéfice réel ou supposé des consommateurs. L’extension du travail dominical n’en est pas moins la condition pour que l’activité s’exerce si bien que, une fois posées les situations dans lesquelles le commerce peut être pratiqué le dimanche, les dispositions légales se placent sur le terrain du droit social pour déterminer les modalités requises pour l’emploi de salariés le jour en principe réservé au repos hebdomadaire.
A. L’extension de l’ouverture des commerces le dimanche
L’extension du commerce dominical n’appelle pas d’observation particulière lorsqu’elle concerne des cas d’autorisation déjà recensés par la loi. Il en est ainsi de la possibilité donnée aux maires d’accorder des dérogations pour l’ouverture d’établissements de commerce de détail où le repos hebdomadaire a lieu normalement le dimanche. Il n’est cependant pas anodin de relever que la loi Macron porte le nombre de dimanches de cinq à douze par an ((C. trav., art. L. 3132-26)). De même, le texte maintient la possibilité d’une autorisation préfectorale pour les établissements dont la fermeture le dimanche serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal d’un établissement ((C. trav., art. L. 3132-20)). Tout au plus le texte restaure la durée limitée de ces autorisations, que la loi Maillé avait supprimé, en la fixant à trois ans.
La nouveauté est la création de dérogations ayant un fondement géographique par l’instauration de zones au sein desquelles il peut être dérogé au repos dominical des salariés des établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services. La loi détermine trois types de périmètres géographiques. Les premiers sont les zones touristiques internationales (ZTI) qui sont délimitées « compte tenu du rayonnement international de ces zones, de l’affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France et de l’importance de leurs achats », par les ministres chargés du Travail, du Tourisme et du Commerce, après avis du maire ainsi que des organisations professionnelles d’employeurs et des organisations salariales de salariés intéressés ((C. trav., art. L. 3132-24)). Les établissements de vente au détail situés dans les ZTI peuvent bénéficier d’une dérogation pour faire travailler tout ou partie du personnel, par roulement, le dimanche. Ils sont de surcroît susceptibles de recourir au travail en soirée. Une autre espèce de zone géographique instituée par la loi sont les zones touristiques caractérisées « par une affluence particulièrement importante de touristes » ((C. trav., art. L. 3132-25)). Les communes d’intérêt touristique ou thermales et les zones touristiques d’affluence exceptionnelles ou d’animation culturelle permanentes constituent « de plein droit » de telles zones (art. 257 de la loi), lesquelles, pour les autres, sont délimitées et le cas échéant modifiées par le représentant de l’État dans la région après avis d’un certain nombre d’organismes ((C. trav., art. L. 3132-25-2)). Enfin, un troisième type de zones sont les zones commerciales « caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes, le cas échéant en tenant compte de la proximité immédiate d’une zone frontalière » ((C. trav., art. L. 3132-25-1)). Succédant aux périmètres d’usage de consommation exceptionnels (Puce) créés par la loi Maillé du 10 août 2009, leur délimitation est également décidée par le représentant de l’État dans la région après avis des mêmes organismes.
Pour compléter cette distribution géographique des dérogations, la loi ajoute que les commerces situés dans des gares qui n’appartiendraient pas à une ZTI peuvent être autorisés à faire travailler leurs salariés le dimanche par un arrêté conjoint des ministres chargés des transports, du travail et du commerce pris après consultation du maire, le cas échéant de l’intercommunalité, des syndicats d’employeurs et de salariés concernés ((C. trav., art. L. 3132-25-6)).
Que ressort-il, dans l’immédiat, de ces mesures ? Le plus visible est le caractère très général, livré à l’interprétation, des termes utilisés pour définir les zones d’exception. Qu’est qu’une affluence particulièrement importante de touristes ; à quoi correspondent une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes ? Cette généralité laisse les coudées les plus franches aux autorités en charge de délimiter les zones géographiques ou de les modifier. Le décret n° 2015-1173 du 23 septembre 2015, qui précise les modalités d’application des dispositions nouvelles et notamment les critères à prendre en compte pour la délimitation de ces zones, retient à cet effet une variété de critères dont le sens, pour certains, n’est pas précisément défini. Par exemple, les zones touristiques internationales sont délimitées par un arrêté des ministres chargés du Travail, du Tourisme et du Commerce à partir de paramètres comme le fait de connaître une affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France. Mais le texte ne dit pas comment évaluer cette affluence exceptionnelle, ni comment identifier ces touristes. De façon plus subreptice, la loi Macron, en dégageant sur un fondement géographique de nouvelles opportunités pour les commerces d’exercer leur activité le dimanche ne se borne pas à rendre possible, dans cette mesure, le recours au travail dominical ; elle crée les conditions de l’extension de ces mesures. En s’en remettant à l’autorité administrative – arrêté interministériel pour les unes, décision du représentant de l’État dans la région pour les autres – du soin de procéder à la délimitation des zones, elle donne les clés de leur expansion quand on sait que l’administration a montré jusqu’à présent une grande souplesse dans l’octroi des dérogations préfectorales (v. V. Lecourt, « Regard sur les contentieux du repos dominical », (Cah. soc., mai 2014, p. 330, n° 113n4)). Sans doute, la loi Macron n’est pas sur ce point innovante car il appartenait déjà au préfet, sous l’empire de la législation antérieure, d’établir la liste des communes d’intérêt touristique ou thermales et des zones touristiques d’affluence exceptionnelles ou d’animation culturelle permanentes ainsi que la liste et le périmètre des unités urbaines constitutives de « Puce ». Mais le texte ouvre un horizon plus vaste au travail dominical, les nouvelles zones étant conçues plus largement que celles qui les ont précédées.
Il ne suffit cependant pas d’un cadre, organisé dans une perspective macro-économique, à l’ouverture des commerces le dimanche ; il faut encore, se plaçant au niveau des entreprises elles-mêmes, prendre en compte l’aspect social de leur intégration dans ce cadre, c’est-à-dire, concrètement, normer la possibilité pour l’employeur de faire travailler tout ou partie de ses salariés le dimanche. C’est sous cet angle que le droit social opère véritablement.
B. Les modalités de l’élargissement du travail dominical
Ces modalités, conçues comme des garanties pour les salariés, sont d’ordre collectif, d’une part, individuel, d’autre part. Elles consistent, pour les premières, dans l’exigence d’un accord collectif qui peut être un accord de branche, de groupe, d’entreprise ou d’établissement, un accord conclu à un niveau territorial ou encore, lorsque l’entreprise est dépourvue de délégué syndical, conclu avec un représentant élu du personnel mandaté ou, à défaut, avec un salarié mandaté. La palette des accords collectifs accroît bien sûr la possibilité pour les entreprises situées dans les zones légalement définies de recourir au travail dominical, lequel s’organise alors par roulement du repos hebdomadaire pour tout ou partie du personnel. Les résistances de plusieurs organisations syndicales défendant le principe du repos dominical n’empêcheront probablement pas la conclusion d’accords, surtout dans les entreprises dont les salariés ou une partie d’entre eux sont favorables au travail le dimanche. Il est plus vraisemblable que les syndicats, poussés à céder sur le principe, négocieront sur les compensations.
À cet égard, la loi Macron fait de l’accord collectif l’instrument pour fixer les compensations qui doivent être accordées aux salariés privés du repos dominical, dont elle précise l’objet : les principales sont les contreparties salariales auxquelles peuvent s’ajouter la compensation des charges induites par la garde des enfants. En cas d’accords de branche, de groupe, d’entreprise, d’établissement ou d’accords territoriaux, ceux-ci doivent en outre prévoir une compensation déterminée afin de tenir compte du caractère dérogatoire du travail accompli le dimanche. À l’image de l’indemnité pour sujétion particulière lorsqu’un salarié accepte de travailler à son domicile, cette compensation ne rétribue pas une prestation de travail mais dédommage le trouble induit par l’exercice de cette prestation, non pas ici dans un lieu de vie privée, mais le jour communément consacré à des activités (ou inactivités) privées. De fait, même accepté, le travail dominical a un impact sur la vie personnelle et surtout familiale, ce dont la loi tire d’ailleurs l’exigence de prévoir dans l’accord des mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés privés du repos dominical.
L’autre garantie, d’ordre individuel, est de laisser aux salariés la faculté de ne pas travailler le dimanche ; autrement dit de ne pouvoir faire appel qu’à des salariés consentants. Le volontariat est désormais la règle aussi bien dans le cadre des nouvelles dérogations ayant un fondement géographique que pour les dérogations accordées par le préfet dans l’intérêt du public ou du fonctionnement normal d’un établissement prévues à l’article L. 3122-20 ou encore celles que le maire est susceptible d’accorder au plus douze dimanches dans l’année ((C. trav., art. L. 3132-27-1)). Le volontariat est évidemment une réalité relative compte tenu des contraintes économiques qui, bien souvent, pèsent en pratique sur le consentement. Mais on ne peut faire mieux, juridiquement, que de le garantir dans les rapports entre le salarié et l’employeur. Or, de ce point de vue, il faut avouer que le dispositif est bien fait. L’accord écrit des salariés volontaires est exigé. Une entreprise ne peut prendre en considération le refus d’une personne de travailler le dimanche pour refuser de l’embaucher. Le salarié qui refuse de travailler le dimanche ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Le refus de travailler le dimanche pour un salarié ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement. Enfin, non seulement l’accord collectif doit traiter des modalités de prise en compte d’un changement d’avis du salarié, mais celui-ci peut à tout moment demander à bénéficier d’une priorité pour occuper ou reprendre un emploi ressortissant à sa catégorie professionnelle ou un emploi équivalent ne comportant pas de travail le dimanche dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise ((C. trav., art. L. 3132-25-4)). Disons-le tout à trac : la loi Macron, sur le terrain du droit social, améliore la condition des salariés susceptibles de travailler le dimanche.
C’est tout le sens du compromis qu’opère le texte : de meilleures garanties sociales pour respecter le choix des salariés de travailler ou non le dimanche et assurer aux volontaires des compensations en contrepartie d’une dynamique économique d’extension du travail dominical pour permettre à de nombreuses entreprises l’exercice du commerce le dimanche. Dans ce compromis, le principe du repos dominical n’a de place qu’en arrière-plan, pour justifier le traitement social du travail dominical.
Vu par… Observations de Laurence Pécaut-Rivolier, conseiller référendaire à la chambre sociale de la Cour de cassation Les dispositions de la loi Macron sur le travail dominical sont incontestablement le résultat d’un bras de fer initié par quelques grands noms de la distribution commerciale au cours des deux dernières années. Un bras de fer mené sous plusieurs formes : - Bras de fer juridique, d’abord : de manière concomitante, plusieurs enseignes ont décidé d’ouvrir leurs magasins le dimanche en dehors du cadre légal, provoquant la réaction des syndicats et offrant ainsi la possibilité de développer devant le juge des arguments en faveur de l’ouverture des magasins le dimanche. Devant le juge judiciaire, l’argument lié à la nécessité économique ; devant le juge administratif, l’argument lié à l’inégalité de fait entre commerces en raison d’une législation considérée comme fondée sur des critères trop aléatoires, et devant le juge constitutionnel, l’argument lié à la violation de la liberté d’entreprendre. - Bras de fer psychologique ensuite, avec la mise en avant de la volonté des salariés eux-mêmes – démontrée notamment par la signature de pétitions ou autres écrits – demandant à pouvoir travailler le dimanche, ce qui aux yeux de l’opinion publique permettait de neutraliser l’argument selon lequel le statut juridique actuel était protecteur des droits des salariés. - Bras de fer politique, enfin, avec la mise en exergue du risque pour la place de Paris de ne pas être en mesure de concurrencer les autres grandes villes touristiques y compris européennes. De ces divers arguments, les tribunaux et les économistes ont fait litière. Le Conseil constitutionnel a rappelé que si le droit au travail dominical n’est pas un droit absolu (voir supra), la liberté d’entreprendre n’est pas non plus une liberté sans limites et doit être mise en balance avec les droits des salariés au repos familial dominical. La Cour de cassation a pu mettre en exergue la différence fondamentale entre les droits et prérogatives individuels des salariés, et l’intérêt collectif que les syndicats ont vocation à défendre et qui n’est pas que la somme des intérêts individuels pris en considération dans un lieu et à un moment donné. L’intérêt collectif, c’est un concept objectif, sur le long terme, et qui prend en compte un ensemble de données pas seulement matérielles. Enfin, s’agissant de l’impact économique, beaucoup d’auteurs s’accordent dans les deux camps pour dire que l’impact réel sur l’économie et la croissance d’une telle décision est marginal. Dès lors, l’intervention législative n’était pas une obligation, elle était un choix politique. Un choix cependant encadré par deux impératifs : trouver un juste équilibre entre la libéralisation commerciale et les droits fondamentaux des salariés au repos et au respect de la vie familiale, et proposer des solutions qui diminuent le sentiment de complexité et donc d’aléa actuel. Ces deux impératifs sont-ils respectés par la loi du 6 août 2015 ? S’agissant du premier, le législateur a mis l’accent sur le principe du volontariat, censé garantir le choix des salariés. A été maintenu également de principe le droit à une contrepartie particulière, mais aucun minimum n’est plus désormais fixé par les textes : il appartiendra aux partenaires sociaux de les définir par accord, ce qui est peu satisfaisant et constitue la principale faiblesse du nouveau dispositif. S’agissant du second, le système est à l’évidence simplifié pour les entreprises grâce à une diminution des cas d’ouverture soumis à autorisation : avec les zones définies au niveau national, les cinq dimanches d’ouverture « de droit » pour tous les commerces, le système apparaît plus fiable et unifié qu’auparavant. Mais le rôle très important laissé aux accords collectifs, tel qu’il est décrit par le Professeur Loiseau, réamorce le risque de diversité des régimes. Un risque certes cette fois assumé et souhaité, dans l’idée d’être plus près de la réalité économique des entreprises. Au prix d’un possible éclatement des dispositifs mis en œuvre. |