Une résidence d'étudiants n'est pas un hôtel
Pour les étudiants en

Un article de Yannick Dagorne-Labbe, Docteur en droit, à retrouver dans les Petites affiches du 27 mai 2019
Une résidence accueillant des étudiants et leur proposant, en plus de l’hébergement, la fourniture de services para-hôteliers ne peut être assimilée à un établissement hôtelier.
Spécialité Baux commerciaux
Cass. 3e civ., 21 févr. 2019, no 17-24458, D
Extrait :
La Cour :
(…)
Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 4 juillet 2017), que la société Compagnie d’exploitation de résidences services (la société CERS), qui exerce une activité de location de logements en meublé avec fourniture de services para-hôteliers dans un immeuble en copropriété au moyen de baux commerciaux consentis par les copropriétaires, a assigné dix-neuf d’entre eux, qui en ont refusé le renouvellement, en paiement d’une indemnité d’éviction ;
Attendu que la société CERS fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande tendant à fixer l’indemnité d’éviction principale sur la base de la perte totale de son fonds de commerce et suivant la méthode du chiffre d’affaires ;
Mais attendu qu’ayant souverainement retenu, répondant aux conclusions prétendument délaissées, que le non-renouvellement des baux de plusieurs lots constituait une perte partielle du fonds de commerce et ayant indemnisé la perte de rentabilité du fonds subsistant, la cour d’appel, qui a ainsi écarté le caractère indivisible du fonds et qui a souverainement retenu que les usages professionnels observés dans la branche d’activité de l’hôtellerie n’avaient pas à s’appliquer à l’activité d’exploitation de résidence étudiante, a fixé le montant de l’indemnité d’éviction selon le mode de calcul qui lui paraissait le plus approprié et a légalement justifié sa décision ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les deux dernières branches du premier moyen et sur les trois derniers moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs :
Rejette le pourvoi ;
(…)
Cass. 3e civ., 21 févr. 2019, no 17-24458, D
Une résidence destinée à recevoir des étudiants peut-elle être assimilée à un hôtel dès lors qu’elle propose à ses occupants toute une série de prestations para-hôtelières ? C’est à cette interrogation qu’a trait un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 21 février 20191. En l’espèce, une société, dont l’activité consiste à louer des meublés et à procurer des services para-hôteliers à des étudiants, est exploitée dans un immeuble en copropriété par l’intermédiaire de baux commerciaux conclus entre chacun des copropriétaires et la société exploitante. Certains des copropriétaires ayant refusé le renouvellement de leur bail, ils sont assignés par la société locataire en paiement d’une indemnité d’éviction. Celle-ci estime que cette indemnité doit être déterminée suivant les usages professionnels observés dans la branche hôtelière. Cette analyse est rejetée par la cour d’appel dont la décision est confirmée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt commenté.
Dans cette espèce, la société exploitante de la résidence ne se limitait pas à fournir un hébergement aux étudiants mais leur proposait également des services para-hôteliers avec ou sans option tels que l’accueil des occupants, l’usage du standard téléphonique, la fourniture de petits déjeuners, le lavage du linge de maison ou encore le nettoyage des parties privatives. Or la jurisprudence considère que pour que l’activité hôtelière soit constituée il suffit qu’il y ait offre de location d’un meublé accompagnée de services annexes du même type que ceux susmentionnés2. Dans ces conditions, ne devait-on pas considérer que l’activité de la société exploitante pouvait s’apparenter à une activité hôtelière ? En réalité, deux arguments permettent d’écarter cette position. Le premier consiste dans le fait que les prestations para-hôtelières offertes aux occupants de la résidence étaient très minimes par rapport à celles procurées par un hôtel de tourisme. Le deuxième argument à l’encontre de la qualification d’activité hôtelière de celle de l’exploitant d’une résidence d’étudiants tient à la définition de l’hôtel de tourisme donnée par l’article D. 311-4 du Code du tourisme. En effet, ce texte dispose qu’il s’agit d’un « établissement commercial (…) qui offre des chambres ou des appartements meublés en location à une clientèle de passage qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois… ». Ce n’est pas du tout le cas s’agissant d’étudiants destinés à y demeurer pendant une ou plusieurs années universitaires.
Ne pourrait-on considérer qu’une résidence para-hôtelière accueillant des étudiants, même si elle ne constitue pas un hôtel, pourrait néanmoins bénéficier de la règle dérogatoire en matière de baux commerciaux fixée par l’article R. 145-10 du Code de commerce comme la jurisprudence l’admet, par exemple, s’agissant d’un camping ?3 Selon ce texte, un local construit ou exploité en vue d’une seule utilisation peut être soumis aux usages observés dans la branche d’activité à laquelle il est affecté ; on parle alors de local monovalent. En l’espèce, la monovalence de la résidence n’était pas discutable puisqu’elle était totalement affectée à l’hébergement d’étudiants. Dans ces conditions, l’exploitant de celle-ci aurait pu demander l’application des usages hôteliers en ce qui concerne la fixation de l’indemnité d’éviction. Cette analyse est nettement écartée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. De fait, celle-ci précise que « la cour d’appel (…) a souverainement retenu que les usages professionnels observés dans la branche d’activité de l’hôtellerie n’avaient pas à s’appliquer à l’activité d’exploitation de résidence étudiante ».
Il résulte donc clairement de l’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 21 février 2019 qu’une résidence para-hôtelière accueillant des étudiants ne peut bénéficier des usages professionnels propres à l’activité hôtelière. Cette possibilité de dérogation au droit commun des baux commerciaux, prévue par l’article R. 145-10 du Code de commerce, est d’interprétation restrictive en application de l’adage specialia generalibus derogant.
1 – Cass. 3e civ., 21 févr. 2019, n° 17-24458.
2 – Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-16850 : Bull. civ. III, n° 161 – Cass. 1re civ., 19 oct. 1999, n° 97-13525 : Bull. civ. I, n° 278 ; D. 1999, IR, p. 257 ; LPA 16 nov. 2000, p. obs. Thioye M. ; RDI 2000, p. 96, obs. Collart Dutilleul F.
3 – Cass. 3e civ., 5 oct. 2017, n° 16-18059 : Dalloz actualité, 11 oct. 2017, obs. Rouquet Y. ; JT 2017, p. 12, note Dagorne-Labbe Y. ; Defrénois 19 oct. 2017, n° 130d1, p. 9.