29 juin 09:06

La mention manuscrite dans un engagement de caution à durée indéterminée et l'assiette de l'appréciation de sa proportionnalité

Pour les étudiants en

M1

Un article de Gwénola Courtel - étudiante en M2 recherche droit privé à l'université des Antilles, dirigé par le professeur Georges Virassamy - à retrouver dans les Petites affiches du 22 juin (en accès libre et gratuit via votre ENT)

Une adaptation de la mention manuscrite de la caution dans le cadre d’un engagement à durée indéterminée est admise si elle en conserve le sens et la portée. La proportionnalité de l’engagement de la caution doit être appréciée au regard de l’ensemble de ses biens, propres et communs à son conjoint, même en l’absence d’autorisation de ce dernier.

Cass. com., 15 nov. 2017, no 16-10504, PB

Extrait :

La Cour :

(…)

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Poitiers, 3 novembre 2015), que par deux actes des 7 décembre 2009 et 22 juillet 2010, M. Y s’est rendu caution solidaire envers la société Brunet fils (le créancier) en garantie du paiement de factures émises sur la société Le Fournil 85 (la société) ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, le créancier a assigné la caution en exécution de ses engagements ;

Attendu que M. Y fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au créancier la somme de 143 375,75 € au titre du cautionnement du 7 décembre 2009 ainsi que celle de 115 673 € au titre du cautionnement du 22 juillet 2010, outre intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que toute personne physique s’engageant par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X, dans la limite de la somme de… couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de…, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X n’y satisfait pas lui-même » ; qu’il ressortait des propres constatations de la cour d’appel, que les cautionnements souscrits par M. Y « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » étaient à durée indéterminée ; qu’en considérant cependant que de tels cautionnements consentis à durée indéterminée répondaient au strict formalisme exigé à peine de nullité par les articles L. 341-2 et suivants du Code de la consommation, la cour d’appel a violé lesdits textes ;

2°/ que toute personne physique s’engageant par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X, dans la limite de la somme de… couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de…, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X n’y satisfait pas lui-même » ; que la cour d’appel a elle-même relevé qu’en cas de cautionnement à durée indéterminée, la mention manuscrite imposée par l’article L. 341-2, devait expressément énoncer, par une formulation claire et non équivoque, cette durée indéterminée de l’engagement souscrit, à peine de nullité de ce dernier ; qu’en considérant dès lors que les cautionnements litigieux répondaient aux exigences des articles L. 341-2 et suivants du Code de la consommation cependant que la formulation manuscrite y figurant « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » ne permettait pas à la caution d’avoir une parfaite connaissance de la durée indéterminée de ses engagements, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des dispositions desdits articles ;

3°/ qu’en cas d’engagement de caution souscrit par un seul des époux, sans l’accord exprès de l’autre, la disproportion de son engagement ne peut être appréciée que par rapport à son patrimoine et ses revenus propres, à l’exclusion des biens communs, lesquels sont hors d’atteinte du créancier ; qu’après avoir elle-même considéré que l’engagement de caution souscrit, le 22 juillet 2010, par M. Y, devait être considéré comme manifestement disproportionné à ses revenus, la cour d’appel l’a cependant condamné à paiement en considérant que le bien immobilier de communauté devait être pris en considération dans l’appréciation de la disproportion au motif qu’ « (…) En cas de cautionnement consenti, sans le consentement de son conjoint, par un seul époux marié sous régime de communauté légale, il est indifférent que les biens de communauté desdits époux ne soient pas engagés envers le créancier en vertu de l’article 1415 du Code civil… » ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les dispositions de cet article ainsi que celles de l’article L. 341-4 du Code de la consommation ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir énoncé qu’il se déduit de la combinaison des articles L. 341-2 et L. 341-6 du Code de la consommation, issus de la loi du 1er août 2003, que le cautionnement à durée indéterminée est licite, l’arrêt constate que la mention manuscrite, apposée par M. Y, relative à la durée de ses engagements, stipule que le cautionnement est consenti « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » ; qu’ainsi, dès lors que cette mention ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que les cautionnements litigieux n’étaient pas entachés de nullité pour violation de l’article L. 341-2 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 ;

Et attendu, en second lieu, que, la disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’appréciant, selon l’article L. 341-4 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que celui de M. Y dépendant de la communauté devait être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses première et cinquième branches, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi ;

(…)

Cass. com., 15 nov. 2017, no 16-10504, PB

 

Commentaire tiré d’une copie rédigée en trois heures lors de l’examen de Droit du financement et des sûretés de l’immeuble, bel exemple de travail construit et réfléchi, sur un sujet donné par F. Pérochon, professeur à la faculté de droit de Montpellier.

Dans un arrêt du 15 novembre 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé les formalités à accomplir lors d’un engagement de caution d’une personne physique envers un professionnel.

En l’espèce, un particulier s’est porté caution pour une durée indéterminée envers un créancier professionnel en garantie des dettes d’une société. Celle-ci en redressement et liquidation judiciaire n’étant pas en mesure d’honorer son engagement, son créancier se tourne vers la caution pour lui demander le paiement des dettes garanties. Cette dernière refuse de payer au motif que les mentions manuscrites obligatoires à peine de nullité dans le cadre d’un tel engagement n’ont pas été respectées et que cet engagement était disproportionné au moment de la signature.

Une procédure devant les tribunaux est engagée, la cour d’appel accueille la demande du créancier et ordonne le paiement des dettes garanties. La caution se pourvoit en cassation.

Dans sa décision n° 16-10504 du 15 novembre 2017, la chambre commerciale rejette le pourvoi en admettant une adaptation de la mention manuscrite de l’article L. 341-2 du Code de la consommation dans le cadre d’un engagement à durée indéterminée et en jugeant l’engagement non disproportionné eu égard non seulement aux biens propres mais aussi aux biens communs de la caution et de son conjoint.

Dans quelle mesure les mentions manuscrites de l’article L. 341-2 du Code de la consommation peuvent-elles être adaptées dans le cadre d’un engagement à durée indéterminée ? Quelle est l’assiette à prendre en compte pour déterminer s’il existe une disproportion manifeste conformément à l’article L. 341-4 du Code de la consommation ?

Pour répondre à ces questions, il faut dans un premier temps déterminer les mentions manuscrites obligatoires lors de la signature d’un acte de cautionnement (I), puis, dans un second temps, déterminer le patrimoine pris en compte pour évaluer la proportionnalité de l’engagement d’une caution personnelle envers un professionnel (II).

I – L’adaptation des mentions de l’article L. 341-2 du Code de la consommation aux cautionnements à durée indéterminée

Si le texte de l’article L. 341-2 du Code de la consommation semble dénué de toute ambiguïté (A), sa combinaison avec l’article L. 341-6 du même code nécessite une adaptation (B).

A – Une mention requise à peine de nullité

En l’espèce, un particulier s’engage comme caution envers un créancier professionnel : c’est donc l’article L. 341-2 du Code de la consommation que la Cour de cassation applique dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, étant donné que l’acte de cautionnement a été signé avant son entrée en vigueur.

Après avoir cité le texte : « En me portant caution (…) pour la durée de… (…) », qui laisse penser que l’engagement à durée indéterminée est interdit pour une caution personne physique envers un créancier professionnel, la cour d’appel rappelle que cette mention manuscrite doit précéder la signature de la caution à peine de nullité. Elle constate que la mention n’est pas conforme puisqu’elle contient la formule suivante « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues ». Pour autant, elle refuse de prononcer la nullité de l’acte. Ce faisant, la cour s’éloigne de la lettre du texte pourtant parfaitement clair et se prononce contra legem. Or le texte est important en ce qu’il vise à protéger les particuliers qui sont souvent obligés de garantir de lourdes dettes professionnelles sur leur patrimoine propre envers des professionnels sans mesurer les conséquences désastreuses en cas d’échec professionnel.

Mais, comme le souligne la Cour de cassation, l’article L. 341-2 du Code de la consommation n’est pas isolé et doit être apprécié au regard de ceux qui l’entourent et notamment de l’article L. 341-6 du même code.

B – Une nécessaire adaptation dans le cadre d’un engagement à durée indéterminée

En l’espèce, l’altération de la mention est due au fait que la mention de l’article L. 341-2 du Code de la consommation ne prévoit pas le cas d’un engagement à durée indéterminée, qu’il paraît même interdire pour une caution personne physique envers un créancier professionnel, alors pourtant que l’article L. 341-6 du même code prévoit clairement une telle hypothèse, pour laquelle il institue une obligation particulière au titre de l’information annuelle à la charge du créancier.

La Cour de cassation admet donc l’engagement à durée indéterminée et, partant, autorise une légère altération de la mention prévue à l’article L. 341-2 du Code de la consommation dans la mesure où elle n’en modifie ni le sens, ni la portée. Le juge est contraint de tordre un peu la loi parfois pour en corriger les incohérences. Loin de résoudre ces problèmes, l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 qui vient réformer ces articles a prévu une mention identique dans le nouvel article L. 331-1 du Code de la consommation tout en oubliant de reporter la sanction associée, rétablie par la loi n° 2017-203 du 21 février 20171.

De plus, elle prévoit que cette mention doit être la seule à précéder la signature tout en ajoutant une seconde mention obligatoire en cas de solidarité dans le nouvel article L. 331-2 du même code. La Cour de cassation n’a donc pas fini de concilier des articles contradictoires comme en l’espèce, ce qui est source d’insécurité juridique.

Néanmoins, la Cour est parfois moins conciliante et préfère s’attacher strictement à la lettre de la loi comme en matière de proportionnalité de l’engagement de la caution personne physique envers un professionnel.

II – L’assiette de l’engagement d’une caution personne physique envers un professionnel

Pour déterminer l’assiette de l’engagement de la caution, il faut séparer deux notions, l’assiette d’évaluation de la proportionnalité de l’engagement (A) et l’assiette du patrimoine effectivement engagé (B).
 

A – L’assiette de l’article L. 341-4 du Code de la consommation

En l’espèce, la caution prétend qu’au moment de son engagement, celui-ci était manifestement disproportionné à ses biens et revenus, en violation de l’article L. 341-4 du Code de la consommation, qui interdit alors au créancier de se prévaloir du cautionnement. Le créancier fait cependant valoir que l’ensemble des biens propres et communs de la caution étaient suffisants pour justifier la proportionnalité de l’engagement. Mais la caution prétend que seuls ses biens propres doivent être utilisés pour cette évaluation : en effet, elle a signé seule l’acte de cautionnement à l’exclusion de son conjoint et ses biens propres ne sont pas à eux seuls suffisants pour satisfaire au critère de proportionnalité.

La Cour de cassation refuse cette interprétation de l’article L. 341-4 du Code de la consommation et, au motif qu’il indique « ses biens », sans opérer de distinction, décide qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre les biens propres et les biens communs. C’est donc une application stricte de l’adage Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus, que la Cour de cassation fait en l’espèce.

En serait-il de même en présence d’une caution possédant des biens en indivision ? Faudrait-il alors prendre en compte non seulement la valeur de sa quote-part mais la valeur de l’ensemble de l’indivision pour évaluer la proportionnalité de l’engagement ? Et également, comme il a déjà été jugé, la valeur de l’immeuble insaisissable de la caution2.

Cette décision est étonnante puisque, s’il faut comptabiliser les biens communs afin de déterminer la proportionnalité de l’engagement, ils ne pourront pas être utilisés pour l’exécution de l’obligation sans le consentement du conjoint.

B – L’assiette du gage du créancier professionnel

Si la Cour de cassation admet que le créancier doit prendre en compte les biens communs pour évaluer la proportionnalité de l’engagement de la caution, elle précise que le créancier n’a aucun droit sur ces biens en l’absence d’accord donné par le conjoint comme le prévoit l’article 1415 du Code civil. Ainsi la Cour refuse de concilier les deux articles, ce qui aboutit à une situation surprenante puisque, si la caution a un patrimoine propre modeste et que son patrimoine commun avec son conjoint est très important, elle pourra garantir des dettes très élevées en accord avec l’obligation de proportionnalité de l’article L. 341-4 du Code de la consommation. Il sera néanmoins difficile pour le créancier de se faire payer puisqu’il ne pourra agir que sur le patrimoine propre de la caution.

La difficile conciliation s’explique sans doute par la différence d’objectif des deux textes, l’un vise à protéger une partie faible, consommateur face à un professionnel, quand l’autre protège les droits des époux sous le régime de la communauté de biens, l’un dans le Code de la consommation et l’autre dans le Code civil.

Cette décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation prise sous l’ancienne loi de 2003 est rédigée en termes assez généraux et publiée au bulletin, laissant penser qu’elle pourrait faire jurisprudence, d’autant que l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ne modifie pas les textes appliqués en l’espèce, reprenant ainsi l’article L. 341-4 du Code de la consommation dans son nouvel article L. 314-18.

 


Notes de bas de page

1 – C. consom., art. L. 343-1 nouv.
2 – Cass. com., 18 janv. 2017, n° 15-12723, F-PB : JCP E 2017, p. 1102, note Legeais D. ; BJE mai 2017, n° 114p0, p. 208, note Macorig-Venier F. ; AJ Contrat 2017, p. 122, note Houtcieff D . ; Rev. sociétés 2017, p.  282, note Ansault J.-J. ; RTD com. 2017, p. 625, note Lecourt A. ; Gaz. Pal. 13 juin 2017, n° 297h4, p. 68 et 70, note Bourassin M.

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