Le harcèlement sexuel d’ambiance
Pour les étudiants en

Un article de Maëlle Dreano, docteur en droit à l'université de Poitiers, à lire dans la revue Les Cahiers sociaux du 1er avril 2017 (en accès libre et gratuit via votre ENT)
La première qualification jurisprudentielle d’un environnement professionnel intimidant, hostile et humiliant en raison de comportements et propos à connotation sexuelle rappelle les conditions auxquelles la définition du harcèlement sexuel peut être élargie au climat de travail et renouvelle l’obligation de prévention de l’employeur.
CA Orléans, 7 févr. 2017, no 15/02566
Extrait :
Les faits ne sont pas contestés dans leur matérialité puisque le rapport de la commission d'études et analyse confirme l'existence de propos grivois, expressions salaces ..., mais dans leur interprétation. Ce que certains individus trouvent humoristique et ne portant pas atteinte à la dignité peut être blessant et humiliant pour d'autres et notamment en ce qui concerne les plaisanteries à connotation sexuelle dirigées à l'encontre des collègues de sexe féminin. Le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables. C'était le cas en l'espèce. L'employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par (la salariée) sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement sexuel est établi.
CA Orléans, 7 févr. 2017, no 15/02566
Peut-on rire de tout ? À cette question éculée, la cour d’appel d’Orléans apporte une réponse inédite : les propos et comportements à connotation sexuelle imposés à la communauté de travail constituent un « harcèlement sexuel d’ambiance ». Cette qualification permet de condamner les conditions de travail hostiles et offensantes, même si les salariés qu’elles heurtent ne sont pas directement visés par les déviances incriminées (I). L’employeur sera sanctionné s’il est démontré qu’il a été défaillant dans son obligation de prévenir les agissements à connotation sexuelle (II).
I. La qualification du harcèlement sexuel d’ambiance
En l’espèce, une rédactrice dénonçait le caractère misogyne et offensant du climat de travail au sein d’un journal de presse locale. Sans pouvoir établir l’agression sexuelle qu’elle alléguait, elle invoquait plus largement des propos sexistes, des insultes graveleuses, des conversations ou bruitages particulièrement dégradants tenus en sa présence. Pour reconnaître à cette salariée la qualité de victime de harcèlement sexuel, le conseil de prud’hommes s’est fondé sur la forte dégradation de son état de santé provoquée par les divers agissements auxquels elle a été exposée. L’organe de presse employeur a interjeté appel en insistant sur le fait que ces évènements vulgaires ne lui étaient pas personnellement destinés et que la qualification de harcèlement sexuel suppose des propos et comportements à connotation sexuelle directement imposés à la victime.
L’argument, étayé par une jurisprudence n’assimilant pas les actes ou « blagues » de mauvais goût au harcèlement sexuel (CA Metz, 17 mars 2008, n° 05-1986 – CA Versailles, 27 sept. 2012, n° 11-03057), est cependant devenu obsolète depuis la réécriture du délit par la loi du 6 août 2012 applicable en l’espèce. Dans sa rédaction antérieure, l’article L. 1153-1 du Code du travail définissait essentiellement le harcèlement sexuel par le but poursuivi par son auteur, lequel résidait dans la volonté d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. Mais depuis la loi précitée, le Code du travail propose une définition plus détaillée des faits constitutifs du harcèlement sexuel : ce sont « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui (subis par un salarié) soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (C. trav., art. L. 1153-1, 1°).
C’est au visa de ce texte que la cour d’appel d’Orléans juge que « le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables ». Il s’agit, à notre connaissance, d’une application inédite de la définition élargie du harcèlement sexuel.
Explicite, la motivation insiste sur le fait que les comportements à connotation sexuelle doivent désormais être incriminés non seulement au regard de leur objet, soit l’objectif poursuivi par leur auteur, mais aussi du point de vue de leurs effets, soit l’atteinte à la dignité ou la création d’un climat de travail hostile et offensant. La cour d’appel prend en effet le soin de relever, pour caractériser le harcèlement sexuel, que la salariée « établit avoir été soumise à des blagues vulgaires, à connotation sexuelle, avec apposition de photographies suggestives et que son état de santé a été considérablement altéré par ces évènements ». Elle s’attarde sur les conclusions du médecin du travail ayant estimé que la salariée « pos(ait) la question (du) milieu de travail perverti, avec des collègues dans le besoin de prouver leur virilité » et que de « la non-régulation » de ce « problème collectif » résultait « une atteinte à la dignité provoqu(ant) une effraction dans le fonctionnement mental ne permettant plus à l’individu de trouver les ressources pour y faire face ».
C’est sans doute à l’intervention du Défenseur des droits que l’on doit la définition « harcèlement sexuel d’ambiance » proposée. L’autorité administrative insistait en effet lors de l’audience sur le fait que le nouvel article L. 1153-1 du Code du travail transpose la définition européenne du harcèlement sexuel. Énoncée par la directive n° 2006/54/CE du 5 juillet 2006, elle présente l’atteinte à la dignité de la victime ou l’environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant comme en étant des éléments constitutifs.
Ce renversement de perspective, depuis le comportement de l’auteur vers le ressenti de la victime, a plusieurs conséquences sur la qualification du harcèlement sexuel d’ambiance. D’abord, il n’est pas nécessaire d’établir que la victime est visée par les propos ou les comportements à connotation sexuelle qui la heurtent. Le lien de causalité n’est plus à rechercher dans la teneur des relations existant entre l’auteur des faits et la victime, mais sur le climat de travail intimidant, hostile et offensant que le premier génère au détriment de la seconde. Ensuite, si des « actes graves » sont toujours requis, ce ne sont pas nécessairement des agissements d’ordre physique. Sont, certes, visés tous les comportements ouvertement sexuels, mais aussi l’ensemble des propos sexistes, grivois, obscènes ou encore insultants (Circ. crim. 2012-15 du 7 août 2012 n° 1.1.1.). En l’espèce, la cour d’appel d’Orléans relève à cet égard qu’une enquête indépendante a révélé « des faits graves pour la santé des salariés » et « une forme de communication violente ». Car enfin, la répétition des divers actes incriminés au titre du harcèlement sexuel d’ambiance naît de leur accumulation. C’est elle qui engendre l’environnement de travail hostile et offensant.
II. La preuve et la prévention du harcèlement sexuel d’ambiance
La cour d’appel d’Orléans constate l’existence du harcèlement sexuel d’ambiance après avoir observé que « la salariée établit l’existence matérielle de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel à son encontre ». Sur ce point, c’est la modification de la preuve du harcèlement par la loi du 8 août 2016 relative au travail qui mérite commentaire. La nouvelle rédaction de l’article L. 1154-1 du Code du travail n’était pas applicable au cas d’espèce, mais il ne faut pas minimiser les conséquences de l’allègement du fardeau probatoire qu’elle introduit sur la qualification du harcèlement sexuel d’ambiance.
De fait, il incombe désormais seulement au salarié de « présenter » des faits laissant présumer le harcèlement sexuel. Il ne doit plus les « établir ». C’est aux juges qu’il revient d’apprécier la matérialité des faits allégués, avant d’évaluer le ressenti de la victime présumée au regard de ceux qu’ils auront retenus. La preuve du harcèlement sexuel d’ambiance s’en trouve considérablement facilitée. Les enquêtes montrent que les agissements destinés à obtenir des faveurs sexuelles sont le plus souvent couverts par un silence pesant et ne font presque jamais l’objet de recours, faute d’éléments permettant d’étayer leur réalité (v. not., IFOP, Le harcèlement sexuel au travail, janv. 2014). Ce ne devrait plus être le cas des climats de travail tolérant le chantage sexuel ou des « blagues » à caractère sexuel. Il suffit en effet au salarié qui pense y être confronté de l’alléguer pour que le juge évalue le caractère intimidant, hostile et offensant de son environnement professionnel et pour qu’il en déduise son préjudice.
Aussi, derrière la question de la preuve du harcèlement sexuel d’ambiance, c’est celle de sa prévention par l’employeur qui se pose avec une particulière acquittée. L’article L. 1153-1 du Code du travail lui enjoint, au moyen d’une obligation de sécurité de résultat, de prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir les actes de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner. La marge de manœuvre ténue dont l’employeur dispose, entre la protection immédiate de la victime présumée et la sanction de l’auteur supposé, a déjà été décrite dans ces colonnes (Martinon A., « Quelle réaction de l’employeur en cas de harcèlement sexuel ? », Cah. soc., déc. 2016, p. 593). On y ajoutera seulement que le harcèlement sexuel d’ambiance ayant pour particularité d’être généré par la communauté de travail, il peut être conseillé à l’employeur de prendre des mesures disciplinaires à l’encontre de chaque salarié impliqué dans sa réalisation, au gré des actes à connotation sexuelle commis. Si isolément considérés, ceux-ci ne peuvent être sanctionnés au titre du harcèlement sexuel qui suppose une répétition des faits, des qualifications voisines, comme la prohibition des agissements sexistes (C. trav., art. L. 1142-2-1) ou l’interdiction des discriminations (C. trav., art. L. 1132-1 ; L. n° 2008-496, 27 mai 2008, art. 1er) pourraient lui permettre de respecter son obligation de prévention.