Le juge administratif et le contrôle des modalités d'évaluation des étudiants
Pour tous les étudiants

Charles Amson, Avocat au barreau de Paris - © Lextenso 2020 (à retrouver dans la Gazette du Palais du 7 juillet 2020, en accès libre et gratuit via votre ENT)
La décision du 5 juin 2020 du tribunal administratif de Paris, rendue à la suite du déféré formé par le recteur de l’Académie de Paris, rappelle que les dispositions de l’ordonnance du 27 mars 2020 permettant d’adapter, du fait de la crise sanitaire, les modalités d’organisation des examens, n’autorisaient pas à déroger aux obligations d’assiduité et d’évaluation objective des étudiants.
TA Paris, 5 juin 2020, no 2007394/1-3 : cette décision peut être consultée sur https://lext.so/sMNJ2Y
La récente crise sanitaire a permis au juge administratif, notamment au Conseil d’État, d’affiner à de nombreuses reprises sa jurisprudence sur la conciliation entre le respect des libertés et la protection de l’ordre public1.
Si beaucoup des décisions rendues dans ce cadre ont concerné les questions relatives à la santé publique et à la liberté d’aller et venir des citoyens, d’autres ont permis d’aborder des domaines moins fréquemment abordés par le juge administratif, tels que la réglementation des examens universitaires.
En l’espèce, le tribunal administratif de Paris était amené à se pencher sur deux délibérations des 16 avril et 5 mai 2020 de la Commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du conseil académique de l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, ayant adapté, sur la base de l’ordonnance du 27 mars 2020 portant sur l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire, les règles relatives aux examens passés au titre de l’année universitaire 2019-2020.
Le contentieux relatif à la légalité de ces délibérations a notamment mis la lumière sur la procédure du déféré rectoral et a ainsi permis de s’interroger sur la marge de manœuvre des instances universitaires dans la détermination des modalités des examens.
Plus généralement et pour sortir du terrain juridique stricto sensu, il a également posé la question de la valeur des diplômes décernés pendant des périodes caractérisées par la survenance de circonstances exceptionnelles.
I – Le cadre général de délivrance des diplômes universitaires
Les conditions de délivrance des diplômes universitaires sont définies par l’article L. 613-1 du Code de l’éducation, lequel rappelle le monopole de l’État pour « la collation des grades et titres universitaires » et précise, à son deuxième alinéa, que les diplômes nationaux qui confèrent ces grades et titres « ne peuvent être délivrés qu’au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes, appréciés par les établissements accrédités à cet effet ».
Le quatrième alinéa du même article complète ce dispositif en précisant que « les aptitudes et l’acquisition des connaissances sont appréciées, soit par un contrôle continu et régulier, soit par un examen terminal, soit par ces deux modes de contrôle combinés. Les modalités de ce contrôle tiennent compte des contraintes spécifiques des étudiants accueillis au titre de la formation continue (et) doivent être arrêtées dans chaque établissement au plus tard à la fin du premier mois de l’année d’enseignement et elles ne peuvent être modifiées en cours d’année ».
Les autorités universitaires doivent, dès lors, en période « normale », déterminer les modalités d’évaluation des connaissances sur la base de ces différents principes.
II – Les adaptations issues de l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020
La crise sanitaire ayant débuté quelques semaines seulement avant la fin du deuxième semestre 2019-2020, il est rapidement apparu certain que les examens ne pourraient pas se dérouler dans les conditions initialement prévues.
C’est la raison pour laquelle l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19 a été édictée afin de déterminer les conditions de délivrance « des diplômes de l’enseignement supérieur, y compris le baccalauréat » ainsi que « les voies d’accès aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois de la fonction publique ».
L’article 2 de cette ordonnance, applicable rétroactivement à compter du 12 mars et jusqu’au 31 décembre prochain, permettait, par dérogation aux dispositions précitées du Code de l’éducation d’apporter, « nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire », des adaptations aux modalités de contrôle des connaissances « dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats, sur leur nature, leur nombre, leur contenu, leur coefficient ou leurs conditions d’organisation, qui peut notamment s’effectuer de manière dématérialisée ».
Le même article ajoutait que ces adaptations devraient être « portées à la connaissance des candidats par tout moyen dans un délai qui ne peut être inférieur à deux semaines avant le début des épreuves ».
III – Les délibérations contestées du CFVU
La délibération, sobrement intitulée « motion », du 16 avril 2020 de la CFVU, compétente sur le fondement des termes de l’article L. 712-6-1 du Code de l’éducation pour déterminer les « règles relatives aux examens », a, tout d’abord, précisé que les rattrapages du premier semestre seraient annulés et que tous les élèves concernés valideraient ce semestre avec la note de 10/20.
Elle a énoncé ensuite, d’une part, que, « suivant le renvoi de la moyenne du premier semestre sur le second », ce dernier serait « validé également à 10/20 » et, d’autre part, que, sur toute l’année, aucune défaillance ne pourrait être constatée.
La délibération du 5 mai 2020, intitulée « proposition de cadrage » avait, quant à elle, indiqué, à son article 3, que « si la moyenne d’une matière ou d’une UE (était) inférieure à 10, une dispense sera(it) accordée à l’étudiant ».
Le deuxième tiret de l’article 4 prévoyait, enfin, que « les enseignements dans lesquels l’équipe pédagogique juge qu’il n’y a pas eu de continuité pédagogique ou un contrôle continu jugé insuffisant et non représentatif feraient l’objet d’une dispense et que seules les notes supérieures à 10 obtenues par le biais de ces travaux seraient intégrées à la note finale ».
Dans le cas où l’étudiant demanderait à ce que les notes dispensées puissent figurer sur le relevé de notes officiel, « la moyenne du semestre reste(rait) calculée à partir des seules notes supérieures à la moyenne, comme pour l’ensemble des étudiants ».
Il convient de noter qu’un autre projet avait été établi par le président de l’université, lequel prévoyait l’organisation d’examens à distance tout au long du mois de mai (avec la possibilité pour les étudiants qui ne pourraient, du fait des événements, s’y présenter de les repasser en juillet puis en septembre).
IV – La procédure suivie et l’utilisation du déféré rectoral
Une première procédure de référé-suspension avait été engagée par treize requérants (notamment des membres de la CFVU, des enseignants-chercheurs et des directeurs d’U.F.R), sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, et avait abouti à une ordonnance du 20 mai dernier (n° 20006989/1-2) n’ayant pas prononcé la suspension des modalités d’évaluation retenues : le juge des référés avait notamment estimé que les circonstances liées à la pandémie ne permettaient ni l’organisation d’examens en présentiel ni celle d’épreuves à distance, tous les étudiants ne disposant pas des moyens leur permettant de se connecter.
La ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, avait déclaré, après le prononcé de la décision, qu’elle « appuierait les enseignants-chercheurs qui souhaiteraient se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État », et qu’elle estimait que la décision de le CFVU portait « une atteinte directe à la qualité des diplômes délivrés par l’université et, ce faisant, à l’avenir de ses étudiants qui souhaitent préserver la valeur de leur formation ».
Le recteur de la région académique Île-de-France, recteur de l’Académie de Paris et chancelier des universités, agissant en qualité d’autorité de tutelle, a ensuite déféré au tribunal, le 22 mai 2020, sur le fondement de l’article L. 719-7 du Code de l’éducation, les délibérations en cause.
Cet article, peu connu non seulement du grand public mais également des juristes, institue la procédure du déféré rectoral2.
Il mentionne que « les décisions des présidents des universités (…) entrent en vigueur sans approbation préalable, à l’exception des délibérations relatives aux emprunts, prises de participation et créations de filiales (…). Toutefois, les décisions et délibérations qui présentent un caractère réglementaire n’entrent en vigueur qu’après leur transmission au recteur de région académique, chancelier des universités.
Le chancelier peut saisir le tribunal administratif d’une demande tendant à l’annulation des décisions ou délibérations des autorités de ces établissements qui lui paraissent entachées d’illégalité. Le tribunal statue d’urgence. Au cas où l’exécution de la mesure attaquée serait de nature à porter gravement atteinte au fonctionnement de l’établissement, le chancelier peut en suspendre l’application pour un délai de 3 mois »3.
Aux termes de sa requête, le recteur sollicitait l’annulation des deux délibérations et souhaitait, par suite, à ce qu’il soit enjoint d’imposer, à titre principal, au président de l’université de faire usage des pouvoirs dont il dispose pour arrêter les règles relatives aux examens et les règles d’évaluation des enseignements pour l’année universitaire 2019-2020, dans le délai de 8 jours à compter de la notification du jugement à intervenir.
À titre subsidiaire, il souhaitait qu’il soit enjoint, dans le même délai, à l’université, et non plus à son président, d’adopter les règles relatives aux examens et les règles d’évaluation des enseignements pour l’année universitaire 2019-2020.
Le président de l’université Paris I avait indiqué, dans son mémoire, s’en remettre à la sagesse du tribunal.
De nombreuses associations (parmi lesquelles l’association Fede Paris I représentant les intérêts des étudiants de l’université, l’association Le Poing Levé, l’association générale des étudiants, le SNESUP-FSU et le syndicat CGT de l’Université) ainsi que plusieurs étudiants agissant à titre individuel étaient intervenus volontairement à la procédure en concluant au rejet du recours du recteur.
V – La décision du tribunal administratif de Paris
La décision a annulé la délibération du 16 avril 2020 de la CFVUV et a enjoint au président de l’université de prendre, dans un délai de 8 jours, les mesures nécessaires pour adapter aux circonstances les modalités de délivrance des diplômes et, notamment, d’évaluation des connaissances.
Le juge administratif a ainsi estimé (v. cons. 12 de sa décision) que les adaptations autorisées par l’ordonnance ne pouvaient « porter sur le principe fondamental du contrôle des résultats des élèves, ou méconnaître le principe d’égalité et celui de l’indépendance et de l’autorité souveraine des jurys ».
En l’espèce, la première délibération du CFVU portait, à l’évidence, selon le tribunal, atteinte au « principe de l’obligation d’un contrôle de connaissance et des aptitudes ».
Les mesures prises par ledit CFVU ont ainsi été jugées comme non nécessaires et non proportionnées ainsi que comme portant atteinte, à travers notamment la suppression de la notion de défaillance, au principe d’égalité devant exister entre tous les étudiants.
Cette décision s’inscrit dans la lignée de celles, par définition très rares, rendues dans des circonstances comparables : ainsi, dans un arrêt du 12 juillet 1969 (chambre de Commerce et d’Industrie de St-Étienne, n° 76089), le Conseil d’État avait estimé que les événements de mai 1968 n’autorisaient pas le ministre de l’Éducation nationale à décider que certaines épreuves du brevet de technicien supérieur n’auraient pas lieu et avait, par suite, annulé l’arrêté en cause.
Autrement dit, seules des circonstances exceptionnelles, telles qu’un véritable état de guerre, et non des circonstances seulement particulières auraient pu être de nature à justifier une atteinte au principe d’organisation des examens.
La décision du tribunal administratif de Paris permet bien, par suite, de prendre conscience des limites des prérogatives des instances universitaires chargées de mettre en place les épreuves.
Ainsi, et comme l’a rappelé le Conseil d’État dans un arrêt du 26 septembre 2018, « s’il n’appartient pas au juge administratif de contrôler l’appréciation portée par le jury sur la valeur d’un candidat, il lui appartient, en revanche de vérifier qu’il n’existe aucune violation dans le règlement du concours de nature à créer une rupture d’égalité entre les candidats »4.
Cette décision doit, à premier examen, être saluée dans la mesure où elle rappelle, d’une part, l’existence d’une obligation d’assiduité devant être respectée par les étudiants et où elle affirme, d’autre part, le caractère fondamental d’une évaluation objective de ceux-ci à l’issue de chaque enseignement.
Elle suscita, cependant, sur le plan médiatique et comme il fallait s’y attendre, de très nombreuses réactions : ainsi, alors que l’Union nationale inter-universitaire (UNI) saluait une victoire des étudiants souhaitant « voir reconnaître leur travail et leur mérite et ne pas avoir de diplôme au rabais » et que le directeur de l’école de droit de la Sorbonne estimait qu’il serait possible de « redevenir raisonnable », de nombreux autres syndicats étudiants dénonçaient les conséquences de ce jugement.
Il convient désormais de voir si les nouvelles modalités d’évaluation des examens qui seront adoptées par les autorités universitaires, et qui n’étaient pas connues au moment de la rédaction de ce texte, satisferont l’ensemble des parties.
Notes de bas de page
1 – Le site du Conseil d’État recensait, ainsi, au 15 juin 2020, 31 ordonnances de référé rendues sur cette question et relatives à des sujets aussi variés que les modalités de protection des personnels pénitentiaires pendant le confinement, les conditions d’usage du vélo pendant celui-ci, la possibilité de surveiller la population par drones ou encore la légalité de la décision d’arrêter les championnats professionnels de football.
2 – Pour un autre exemple d’utilisation de cette procédure, v. TA Montpellier, 15 oct. 2007, n° O702943 : ledit tribunal avait, sur déféré du recteur d’académie, annulé une délibération du conseil d’administration de l’université de Perpignan instituant des droits spécifiques d’inscription pour l’année universitaire 2007-2008.
3 – La jurisprudence administrative a rappelé, à plusieurs reprises, que ni le recteur ni le ministre n’avaient la possibilité de modifier ou d’annuler des actes de l’université (v., par ex. TA Paris, 14 mai 2008, M.C).
4 – V. CE, 26 sept. 2018, n° 405473 (également CE, 5 oct. 2007, n° 297672 – et CE, 23 juill. 2014, n° 363141).