17 oct 15:49

GPA en France : l'intérêt de l'enfant est apprécié différemment que dans la GPA internationale

Pour les étudiants en

L1

Un article d'Élisa Viganotti, avocat au barreau de Versailles, docteur en droit, à retrouver dans la Gazette du Palais du 15 octobre 2019 (en accès libre et gratuit via votre ENT)

Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour autrui est nulle, cette nullité étant d’ordre public. Dès lors, l’action de M. X en contestation de la reconnaissance de paternité de M. Y, visant à lui permettre d’établir sa propre filiation sur l’enfant XZ né de Mme Z à la suite d’une convention de GPA qu’il avait conclue avec elle, est irrecevable comme reposant sur un contrat prohibé par la loi.

Mme Z propose ses services de mère porteuse par des annonces sur internet. Un couple d’hommes, MM. X et A, conclut une convention avec elle, lui remet ses gamètes et règle le prix convenu. M. A établit une reconnaissance anténatale, mais la dame change d’avis et offre l’enfant à un autre couple, M. et Mme Y, qui s’était vu refuser l’agrément à l’adoption par les services de son département. À sa naissance, l’enfant est remis à M. et Mme Y contre une somme d’argent et est déclaré à l’état civil comme né de M. Y, qui l’a reconnu, et de Mme Z. Quant à MM. X et A, les pourvoyeurs de gamètes, Mme Z leur dit que l’enfant est décédé à la naissance. Le mensonge est vite découvert. Le tribunal correctionnel de Blois condamne Mme Z pour escroquerie, MM. X, A, ainsi que M. Y pour provocation à l’abandon d’enfant. Au cours de cette procédure, l’expertise ADN désigne M. X comme étant le père biologique de l’enfant.

 

M. X diligente alors une action en contestation de la reconnaissance de M. Y et de reconnaissance de sa paternité à l’égard de l’enfant XZ.

Le tribunal de Dieppe accueille sa demande mais la cour d’appel de Rouen infirme et déclare l’action irrecevable.

La première chambre civile suit l’avis de son avocat général « (…) [la cour d’appel] a choisi son milieu actuel [de l’enfant]. Cette appréciation in concreto de l’intérêt de l’enfant au regard de l’interdit de la GPA est incontestable selon nous en l’état du droit positif interne et de la marge d’appréciation dont dispose la France pour maintenir un principe de prohibition d’ordre public (…) » (avis de l’avocat général, p. 26) et rejette le pourvoi de M. X.

 

Cass. 1re civ., 12 sept. 2019, no 18-20472, M. X, PB (rejet pourvoi c/ CA Rouen, 31 mai 2018), Mme Batut, prés. ; SCP Alain Bénabent, SCP Boullez, SCP Piwnica et Molinié, av.

La vie est pleine de surprises, la réalité dépasse toujours la fiction (surtout la fiction juridique pourrait-on rajouter) : ces lieux communs trouvent dans cette histoire leur réalisation et leur vérité.

En effet, 28 ans après l’arrêt d’assemblée plénière (Cass. ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20105) sur le pourvoi dans l’intérêt de la loi formé par M. l’avocat général près la Cour de cassation, qui a mis un terme aux GPA et autres PPA pratiquées jusque-là en France, cette affaire braque le projecteur sur une nouvelle pratique lucrative qui, grâce à internet, contourne facilement l’interdiction de la GPA sur le territoire national.

Depuis l’arrêt de 1991 précité et la première loi de bioéthique de 1994 (L. n° 94-653, 29 juill. 1994) l’interdiction de toute convention de PPA ou GPA a été inscrite de façon solennelle et lapidaire dans le Code civil (C. civ., art. 16-7) : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. »

Ainsi, à partir de 1991, les associations à but non lucratif qui jouaient les intermédiaires entre les couples désireux d’enfants et les mères porteuses (telle que Alma Mater à Marseille, cf. Cass. 1re civ., 13 déc. 1989, n° 88-15655) ont été dissoutes et les cliniques ont arrêté ces pratiques.

Cela a eu pour effet de déplacer le problème à l’international : les couples en désir d’enfants, hétérosexuels ou homosexuels, se sont rendus à l’étranger pour conclure des conventions de GPA autorisées par la loi locale. Des filières organisées ont vu le jour, plus ou moins sérieuses, très souvent peu respectueuses de la dignité des femmes. Une nouvelle forme d’exploitation de la pauvreté a été organisée au profit de quelques praticiens sans scrupules : sur internet ont fleuri les sites d’intermédiaires proposant de véritables « catalogues » de mères porteuses, classées par origine ethnique, âge, catégorie socioprofessionnelle.

Mais ce tourisme international à but procréatif a, par un curieux effet boomerang, soulevé de nouveaux problèmes dans les prétoires français, notamment de droit international privé, car en bout de course il fallait bien obtenir un état civil français pour ces enfants nés à l’étranger de mère porteuse...

Les tribulations des parents d’intention français ont donc été de taille mais, grâce notamment à la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), à partir de 2014 (depuis les arrêts Mennesson et Labassée : CEDH, 5e sect., 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France et CEDH, 5e sect., 26 juin 2014, n° 65941/11, Labassée c/ France) ces enfants, appelés à une époque les enfants de personne (cf. Chemin A., « Né de mère porteuse enfant de personne », Le Monde, 31 oct. 2006), ont pu sortir de la clandestinité juridique. Aujourd’hui ces enfants ont un père, puisque leur géniteur désigné dans l’acte de naissance étranger peut être reconnu à l’état civil français. Dans l’affaire ici commentée, le rapporteur Mme Le Cotty résume ce cheminement jurisprudentiel, interne et européen : la lecture de cet exposé est très instructive et fortement conseillée pour comprendre la dimension historique et internationale de la GPA.

Mais tandis que pour la GPA internationale les difficultés surgissent à propos de la transcription à l’état civil français de l’acte de naissance dressé à l’étranger, pour la GPA interne les difficultés surgissent lors de l’inexécution du contrat, comme c’est le cas ici.

L’on pourrait s’étonner de se retrouver en 2019 confrontés à une GPA pratiquée en France : en effet, tous les protagonistes de cette histoire sont français et résident dans l’hexagone.

Or, en 30 ans la société française a évolué, si l’on peut parler d’évolution à cet égard… Aujourd’hui exeunt les associations d’intermédiaires car les contacts passent par internet en temps réel, l’intervention du médecin est devenue superflue grâce aux inséminations « artisanales » suivant les termes de la cour d’appel de Rouen repris par la première chambre, des tutoriels fleurissent sur internet pour expliquer aux candidats à la GPA faite maison comment y procéder matériellement et la variante à titre gratuit, dite PAA (procréation amicalement assistée), a également vu le jour sur la toile.

La décision de la haute juridiction française laisse néanmoins un « sentiment étrange » selon les propres mots de M. Fulchiron dans son commentaire de l’arrêt de la cour d’appel de Rouen (« Fraude à la GPA contre fraude à l’adoption, vente d’enfant contre vente d’enfant. Comment faire respecter les interdits ? », Dr. famille 2018, n° 239) et appelle des remarques, tant à l’égard de la GPA et l’ordre public que des règles en matière de filiation.

I. La GPA et l’ordre public

L’action de M. X est déclarée irrecevable car fondée sur un contrat nul de nullité d’ordre public.

En même temps, la reconnaissance de paternité de M. Y est mensongère et souscrite en détournement des règles de l’adoption, mais elle prospère. Dans les deux cas, il s’agit de la « vente » d’un enfant puisque les deux hommes ont payé un prix à la mère porteuse : le premier demeure juridiquement un étranger pour son enfant biologique, le deuxième garde l’enfant qu’il a « acheté ».

Lorsque la première chambre statue, l’enfant a 6 ans et a toujours vécu chez M. Y et son épouse.

La cour d’appel et la première chambre civile considèrent que son intérêt, supérieur à tout autre, commande de le laisser avec eux, chez eux, dans des conditions jugées satisfaisantes : ainsi, l’avocat général observe « qu’aucun signalement ni aucune saisine du juge des enfants ne semble avoir été fait » (p. 23).

M. X reproche aux magistrats d’avoir préféré la réalité vécue à la réalité biologique. Cette critique est sous-tendue par l’idée d’une supériorité du fait biologique sur le fait sociologique et affectif. Ce postulat est en vérité pour beaucoup un véritable dogme.

Pourtant, le droit français fait une large place à la réalité socio-affective dans la filiation : ainsi depuis 1982 la possession d’état est un mode autonome d’établissement de la filiation.

Pourtant, la CEDH a maintes fois dit pour droit, tel un mantra, aussi bien en matière de filiation, d’autorité parentale que d’enlèvement international d’enfant, que la réalité vécue et l’écoulement du temps ont des effets souvent irréversibles sur la vie d’un enfant et les relations avec ses parents, biologiques ou d’intention. Ainsi, elle a plusieurs fois admis que l’on puisse « sacrifier » le parent biologique pour ne pas perturber l’enfant (CEDH, 26 juill. 2018, n° 16112/15, Fröhlich c/ Allemagne ; CEDH, 18 févr. 2014, n° 28609/08, A. L. c/ Pologne).

D’une façon générale, la CEDH a aussi largement admis que, en matière d’état des personnes, les États jouissent d’une large marge d’appréciation dans la délicate opération de balancier entre les intérêts concurrents : celui de l’enfant, du parent biologique, des parents d’intention, et la société en général.

La filiation ne se limite pas à la transmission de gènes.

Au-delà de l’aspect philosophique de la question : qu’est-ce la filiation ? La haute juridiction française affirme que sa décision ne préjudicie pas, dit-elle, au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines… Oui, peut-être, mais à quel prix, psychologique et moral ?

En ce moment même est présenté devant l’Assemblée nationale un projet de loi de bioéthique proposant l’élargissement de la PMA, notamment aux femmes seules et aux couples de femmes : des interdictions tomberont, mais pas celle de la GPA.

Cette hostilité manifeste à l’égard de la GPA est justifiée par la défense de principes fondamentaux tels que l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes. La protection de ces principes vise la société en général et pas que la filiation : il suffit d’imaginer les effets néfastes du libre commerce interne et international de parties du corps humain, de ses dérivés et de ses fonctions dont celle de la procréation. Il ne s’agit point d’un scénario de science-fiction, ce commerce existe déjà dans certaines parties du globe. Il ne faut pas l’encourager ni ici ni ailleurs.

Mais sur ce point M. Fulchiron a raison : comment faire respecter les interdits ? Cette question reste ouverte : l’affaire ici commentée nous montre qu’un combat juste peut se révéler être un combat perdu d’avance.

La réponse à cette question viendra peut-être de l’extérieur,  pour la GPA internationale : le conseil de 2015 sur les affaires générales et la politique de la conférence de La Haye de droit international privé a décidé de constituer un groupe d’experts pour étudier les questions de droit international privé liées à la filiation des enfants, en particulier celles ayant trait aux conventions de maternité de substitution et un groupe d’experts géographiquement représentatif a été constitué en consultation avec les membres de la conférence. Ce groupe se réunit régulièrement et ses travaux sont disponibles en ligne sur le site de la conférence.

Peut-être à la suite de ces travaux sera un jour signée une convention de La Haye visant à encadrer et réglementer la GPA plutôt qu’à l’interdire.

Mais quid de la GPA pratiquée en France ? Des solutions pragmatiques ont été proposées, fondées sur les règles de dévolution de l’autorité parentale, voire sur celles concernant l’assistance éducative (ainsi Fulchiron H., « Fraude à la GPA contre fraude à l’adoption, vente d’enfant contre vente d’enfant. Comment faire respecter les interdits ? », art. préc., Dalloz actualité, 27 sept. 2019, obs. Gareil-Sutter L.) : ainsi la consécration du lien de filiation biologique pourrait s’accompagner de mesures adaptées pour laisser l’enfant avec le couple qui l’élève depuis sa naissance avec un droit progressif pour le géniteur.

L’arrêt commenté suscite d’autres interrogations, sur le plan de l’établissement de la filiation.

II. Les règles en matière de filiation

L’enfant XZ avait potentiellement quatre pères :

le mari de la mère porteuse Mme Z en vertu de la présomption pater is est ;

M. X, son père biologique ;

M. A, le compagnon de M. X qui a souscrit une reconnaissance anténatale ;

M. Y qui a souscrit une reconnaissance mensongère.

Et, en l’état, une seule mère : Mme Z, qui a accouché de l’enfant et a donné son ovocyte : elle est donc à la fois mère porteuse et mère biologique de l'enfant XZ.

L’épouse de M. Y devra adopter l’enfant pour voir un lien de filiation se créer à son égard.

Aux fins d’établir un lien de filiation avec XZ, M. X a dû procéder par deux étapes, conformément au principe chronologique posé par l’article 320 du Code civil : d’abord contester la reconnaissance de M. Y, voire celle de M. A, qui avait le premier reconnu l’enfant, et ensuite établir sa paternité.

Son action en contestation eut été déclarée recevable si l’enfant n’avait pas été conçu par mère porteuse : en effet, comme l’indique justement l’avocat général (p. 17 et s.), il apparaît difficile de retenir une possession d’état conforme au titre à l’égard de M. Y et encore moins qu’elle ait duré 5 ans comme l’exige l’article 333, paragraphe 1, du Code civil pour limiter les titulaires et les délais de cette action : « Lorsque la possession d’état est conforme au titre, seuls peuvent agir l’enfant, l’un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable. L’action se prescrit par 5 ans à compter du jour où la possession d’état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté. »

Dès lors, en absence de possession d’état conforme au titre, l’action en contestation de M. X était recevable, conformément à l’article 334 du Code civil : « À défaut de possession d’état conforme au titre, l’action en contestation peut être engagée par toute personne qui y a intérêt dans le délai prévu à l’article 321 [10 ans] ».

Mais fraus omnia corrumpit : ici, encore une fois, c’est la nullité de la convention de GPA qui pollue le débat et rend inopérantes les règles en matière de filiation. L’action de M. X était recevable en droit de la filiation, mais nulle pour des raisons d’ordre public.

Enfin et sur un plan purement procédural, M. X était mal fondé à solliciter également l’établissement de sa propre paternité. En effet, l’action en recherche de paternité est réservée à l’enfant (C. civ., art. 327) et pendant sa minorité seul le parent à l’égard duquel la filiation est établie peut l’exercer (C. civ., art. 328, § 1). Il aurait suffi, par conséquent, de reconnaître l’enfant après la suppression de la reconnaissance de M. Y.

Last but not least : la morale de l’histoire est que la situation de l’enfant né d’une GPA pratiquée en France est jugée de façon plus sévère que celle de l’enfant né de GPA pratiquée à l’étranger. Cette discrimination, fondée sur la conception territoriale de l’ordre public, n’est pas cohérente avec l’intérêt de l’enfant.

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