Responsabilité du fait des choses
Pour les étudiants en

Un article de Jean-Pierre Vial - inspecteur de la jeunesse et des sports, docteur en droit, membre associé du laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport (LVIS) - à retrouver dans la Gazette du palais du 21 février 2017
Après le coup de boutoir de la Cour de cassation contre la garde en commun dans les sports mécaniques, son démantèlement se poursuit avec les sports de balle. La cour de Colmar prend pour cible le basket-ball. En revanche, elle ne saisit pas l’occasion qui se présentait d’articuler la responsabilité des groupements sportifs pour les dommages causés par leurs joueurs avec la responsabilité du fait des choses.
CA Colmar, 2e ch. civ., sect. A, 7 déc. 2016, no 15/04386, Mme P c/ Mme S. et l’association sportive Kaysersberg-Ammerschwihr Basket Centre Alsace
Au cours d’un match de basket opposant deux équipes féminines, une joueuse est blessée par un coup de ballon au visage. Après dépôt d’une plainte classée sans suite, la victime saisit le tribunal de grande instance d’une demande d’indemnisation formée contre l’auteure du coup et son club. Elle est déboutée au motif qu’elle ne rapporte pas la preuve de la réalité d’un acte de violence de la part de la joueuse du camp adverse seule susceptible de constituer une faute de nature à engager sa responsabilité et celle de l’association sportive en qualité de responsable des agissements fautifs d’une de ses joueuses.
En appel, la victime recherche la responsabilité de l’auteure du dommage sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, ancien du Code civil et subsidiairement sur le fondement de l’article 1382 ancien. Elle met également en cause son club en application de la jurisprudence sur la responsabilité des groupements sportifs du fait de leurs membres.
La cour d’appel ne fait pas d’allusion à la demande fondée sur la responsabilité pour faute qui ne s’imposait pas. En effet, la Cour de cassation admet qu’une condamnation sur l’un des deux fondements dispense les juges de se prononcer sur l’autre dès lors qu’elle a été motivée1. Ayant recherché si les conditions de la responsabilité de plein droit du fait des choses inanimées étaient réunies, la cour d’appel avait suffisamment justifié sa solution sans qu’il soit nécessaire qu’elle vise expressément l’article 1382 ancien. Si sa motivation n’est pas en cause, la solution retenue mérite l’attention.
L’action engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses se heurtait à l’obstacle de la garde en commun. Il est acquis qu’une détention aussi précaire que la possession du ballon dans un match de basket-ball ne répond pas à l’exigence de « contrôle et de direction de la chose » au sens où l’entend la Cour de cassation. Pourtant, la cour de Colmar parvient à s’en affranchir par une analyse discutable des circonstances de l’espèce (I). Ayant écarté l’obstacle de la garde en commun, l’occasion s’offrait à elle d’articuler la responsabilité du fait des choses avec celle des groupements sportifs du fait de leurs membres. Elle ne s’y résout pourtant pas et se range à la ligne classique de l’exigence préalable d’une faute du joueur (II).
I – L’obstacle de la garde en commun écarté
Deux théories ont fait longtemps barrage à l’application de la responsabilité du fait des choses : l’acceptation des risques et la garde en commun. La mise à l’écart de la première, s’est faite en deux temps. Elle a d’abord été évincée des sports de loisirs, la Cour de cassation ayant admis que l’ancien article 1384, alinéa 1, puisse s’appliquer à une sortie dominicale de cyclistes amateurs2, à un accident survenu lors d’activités pédagogiques organisées sous l’autorité d’un animateur3 puis à un jeu de balle improvisé entre adolescents4. Le sport de compétition formait son dernier bastion5. L’arrêt du 4 novembre 2010 lui a porté le coup de grâce. La généralité des termes employés n’a laissé aucun doute sur sa portée. Le verrou de l’acceptation des risques ayant sauté, restait l’obstacle de la garde en commun. Un auteur autorisé a prédit qu’elle serait emportée à son tour par l’effet domino qui suivrait l’arrêt de 20106. Celui du 14 avril 2016 rendu à l’occasion d’un accident de side-car cross pourrait être le signal de ce démantèlement. Mais on se tromperait en pariant sur une suppression pure et simple. La Cour de cassation donne plutôt l’impression de vouloir neutraliser la garde en commun en la réduisant à la portion congrue. À cet effet, elle applique un procédé déjà éprouvé qui consiste à l’écarter dès qu’un des participants « à une activité coordonnée et d’ensemble » exerce un pouvoir de commandement sur les autres équipiers à l’instar du pilote de side-car7, du skipper8 ou qui décide de la direction de l’engin comme l’équipier arrière d’un canoë9 ou d’une luge10. Mais ce raisonnement a ses limites, comme le révèle un récent arrêt sur le side car cross. À ce sujet, la Cour de cassation admet que la position et l’action, acrobatique du « singe », permettent de corriger la trajectoire de l’engin, notamment dans le franchissement des bosses et des virages, et de le rééquilibrer afin de lui permettre d’atteindre une vitesse et une trajectoire optimales. Pourtant, elle refuse d’y voir une action coordonnée et s’en tient au fait que le pilote a un rôle prépondérant dans la conduite de l’engin et qu’il est « le seul à pouvoir l’utiliser sans être assisté par le passager alors que l’inverse est impossible11 ». Les deux positions se défendent, ce qui affaiblit singulièrement l’argument du pouvoir de commandement et donne plutôt l’impression que la haute juridiction cherche à se débarrasser en sous-main de la garde en commun. Cette approche casuistique aboutit aux mêmes résultats avec les sports de balle.
Le motif allégué ici est que le temps de détention de la balle est trop bref pour qu’un joueur puisse exercer sur celle-ci un pouvoir de contrôle et de direction. Tantôt, il s’agit de sports comme le tennis qui rendent nécessaire le renvoi immédiat de la balle12. Tantôt, comme pour le football, le hand-ball ou le basket-ball, c’est la conquête du ballon qui motive le refoulement de l’ancien article 1384, alinéa 1. Sa maîtrise n’est pas concevable dans une partie où les joueurs le font circuler pour éviter que ceux du camp adverse ne s’en emparent. Comme l’observe la Cour de cassation, « le joueur qui a le ballon est contraint de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires qui tentent de l’empêcher de le contrôler et de le diriger, en sorte que le temps de détention du ballon par chaque joueur est trop bref pour exercer sur le ballon un pouvoir sans cesse disputé13 ». En revanche, la garde redevient personnelle lorsque la balle n’est plus l’objet de conquête comme le jeu consistant à envoyer le ballon à tour de rôle dans un panier de basket14. De même, on peut admettre que certaines phases du jeu soient compatibles avec une maîtrise effective et personnelle du ballon. Ainsi, dans le cas d’un arrêt de jeu qui sanctionne une faute, personne ne dispute le ballon au joueur qui tire un coup franc, un penalty, un corner ou un coup de pied de pénalité15. En revanche, on voit mal comment faire l’impasse sur la garde en commun pendant le cours du jeu. La cour d’appel de Colmar a pourtant fait ce choix. Pour ne pas se mettre en porte à faux avec l’exigence de détention prolongée, les magistrats observent que « le choc ne s’est pas produit au cours d’une action de jeu » mais au moment où l’intimé « était à l’arrêt après un dribble et tenait le ballon entre ses mains ». Admettre qu’un joueur devienne gardien d’un ballon qu’il conserve entre les mains ou les pieds l’espace de quelques secondes avant de s’en débarrasser, c’est ouvrir la boîte de pandore. On voit bien le danger d’une telle conception de la garde entièrement livrée à la discrétion du juge. Il lui suffira de constater que le joueur est parvenu à garder la possession du ballon que d’autres lui disputent pour en faire un gardien. Dans ces conditions, il sera facile à la victime d’obtenir réparation là où la garde en commun y faisait barrage. De surcroît, cette jurisprudence risque de fausser le jeu. Les joueurs chercheront à se débarrasser au plus vite du ballon pour ne pas s’en voir attribuer la garde ! Le risque est d’autant plus sérieux que les groupements sportifs ont l’obligation d’assurer leurs joueurs contre les dommages qu’ils causent16. Aussi, sachant que la victime a la garantie d’être indemnisée par l’assureur en responsabilité du club, la tentation sera grande pour les tribunaux de se débarrasser de la garde en commun. Son sort est entre les mains de la Cour de cassation qui ne paraît pas décidée à la défendre si on en juge par sa jurisprudence la plus récente sur les épreuves de side-car cross 17. D’ailleurs, n’a-t-elle pas déjà neutralisé la garde collective par un autre procédé consistant, pour les sports dont les joueurs utilisent une raquette, à occulter les échanges de balle et à ne retenir que l’action de la raquette18 ? En effet, s’ils n’ont pas la garde de la balle, les joueurs ont celle de la raquette avec laquelle ils projettent la balle en direction de la victime.
Voilà qui pourrait alarmer les groupements sportifs. Si l’arrêt de la cour d’appel de Colmar fait des émules, le renchérissement des cotisations d’assurance qui s’ensuivrait est ce que les clubs et leurs membres ont le plus à craindre.
La solution adoptée pour la responsabilité du fait des choses aurait pu encourager les juges à faire preuve de la même audace pour la responsabilité des groupements sportifs du fait de leurs membres. Mais la cour de Colmar rate l’occasion qui se présentait d’articuler cette responsabilité avec celle du fait des choses.
II – Une occasion manquée
La responsabilité du fait d’autrui est normalement une responsabilité indirecte subordonnée à celle de l’auteur du dommage. La solution retenue pour les parents qui répondent des comportements mêmes non fautifs de leurs enfants mineurs fait figure de cavalier seul19. Le mouvement sportif a craint qu’elle s’applique aux clubs sportifs mais l’assemblée plénière y a mis le holà en subordonnant leur responsabilité à l’exigence d’une faute du joueur caractérisée par une violation des règles du jeu20. L’expression pour le moins ambiguë a nourri les commentaires de la doctrine21. La majorité des auteurs s’accordent pour l’entendre au sens d’une « faute contre le jeu », c’est-à-dire de brutalité, de déloyauté ou encore de prise anormale de risque, comme l’atteste un arrêt du 5 octobre 200622 ; ne sont donc pas concernées les fautes de jeu comme les maladresses, les fautes techniques et les erreurs d’appréciation qui bénéficient de l’immunité23.
Les circonstances de l’espèce étaient-elles constitutives d’une « faute contre le jeu » ? Selon un témoin, l’intimée aurait « mis la balle en retrait au-dessus de sa propre tête pour ensuite taper violemment la balle dans le visage » de son adversaire. Deux spectateurs confirment cette version. La joueuse réplique que son geste était destiné à se protéger contre une adversaire qui faisait preuve d’une certaine agressivité envers elle pour essayer de s’emparer du ballon. Que valent ces témoignages face au verdict de l’arbitre qui a sifflé une faute personnelle contre l’appelante pour avoir fait un usage illégal de ses mains ? N’est-il pas sur un terrain de jeu celui qui présente les meilleures garanties d’impartialité ? La conquête du ballon ne peut s’effectuer sans une certaine rudesse sans quoi il n’y aurait plus de compétition possible. Il suffit qu’elle ne dépasse pas un certain seuil au-delà duquel sévissent les brutalités et actes déloyaux constitutifs de « fautes contre le jeu ». C’est l’analyse qu’avaient faite les premiers juges ayant estimé que la victime « ne rapportait pas la preuve de la réalité d’un acte de violence contraire à l’esprit sportif et au fair-play ». La cour d’appel y voit au contraire un geste d’agressivité délibérée revêtant « le caractère d’une violation caractérisée des règles du jeu ». Deux positions irréductibles sur la qualification des faits qui démontrent une fois de plus la difficulté d’apprécier le comportement des joueurs dans le feu de l’action. De surcroît, il ne faut pas exclure qu’en cas de pourvoi, la Cour de cassation estime que les faits rapportés ne suffisent pas à caractériser des brutalités volontaires ou un comportement déloyal constitutif d’une faute civile.
Les juges avaient pourtant une autre alternative qu’ils n’ont pas su ou voulu exploiter. Il suffisait d’appliquer la solution retenue pour les parents quand la chose détenue par un mineur a été le fait générateur du dommage. Il est admis depuis un arrêt du 10 février 196624 que « si la responsabilité du père suppose que celle de l’enfant a[it]été préalablement établie, la loi ne distingue pas entre les causes qui ont pu donner naissance à la responsabilité de l’enfant ». Cette solution a ouvert la voie à l’application cumulative du principe général de responsabilité du fait des choses et de la responsabilité des père et mère. Pourquoi ce qui est admis pour un enfant qui blesse son camarade sur un terrain de jeu avec un matériel sportif ne serait pas appliqué à des adultes ? Cette solution aurait l’avantage d’éviter les discussions sans fin sur l’existence ou non d’une faute de l’auteur du coup et partant de faciliter la réparation des dommages. Ses adversaires ne manqueront pas d’y voir le triomphe de l’idéologie de la réparation.
Notes de bas de page :
1 – Cass. 2e civ., 9 nov. 1966 : Bull. civ. II, n° 895 – Cass. 2e civ., 12 juin 1969 : Bull. civ. II, n° 210 – Cass. 2e civ., 5 mars 1970 : D. 1970, Somm., p. 159.
2 – Cass. 2e civ., 22 mars 1995, n° 93-14051 : Bull. civ. II, n° 99, p. 57, obs. Jourdain P. ; RTD civ. 1995, p. 899 ; JCP 1995, II 22550, obs. Mouly J.
3 – Cass. 2e civ., 4 juill. 2002, n° 00-20686 : Bull. civ. II, n° 158, p. 125 ; D. 2003, Somm., p. 461, obs. Jourdain P. ; D. 2003, p. 519, obs. Cordolier E.
4 – Cass. 2e civ., 28 mars 2002, n° 00-10628 : Bull. civ II, n° 67, p. 54 ; D. 2002, Jur., p. 3237, note Zerouki D. ; RTD civ. 2002, p. 520, obs. Jourdain P. ; Resp. civ. et assur. 2002, chron. 15 et 191, note Hocquet-Berg S. ; LPA 20 juin 2003, p. 16, note Vial J-P.
5 – Il n’était fait exception au refoulement de l’article 1384, alinéa 1, que pour les risques anormaux comme celui de mort que n’acceptent pas les compétiteurs : Cass. 2e civ., 8 mars 1995, n° 91-14895 : Bull. civ. II, n° 83, p. 47.
6 – D. 2011, p. 690, note Mouly J.
7 – Cass. 2e civ., 5 mai 1966 : Bull. civ. II, n° 529.
8 – Cass. 2e civ., 9 mai 1990, n° 89-11428 : Bull. civ. II, n° 93, p. 49 ; D. 1991, Jur., p. 367, note Dagorne-Labbé G. – Cass. 2e civ., 8 mars 1995, n° 91-14895 : Bull. civ. II, n° 83, p. 47 ; JCP G 1995, II 22499, note Gardach J. ; D. 1995, Somm., p. 43, obs. Mouly J. – Cass. 2e civ., 12 avr. 2012, nos 10-20831 et 10-21094 : Resp. civ. et assur. 2012, comm. 195, note Groutel H.
9 – CA Douai, 3e ch. civ., 23 mars 1990, n° 2296/89.
10 – CA Rouen, 1re ch. civ., 17 mai 1995 : D. 1997, Somm., p. 189, note Lacabarats A.
11 – Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-17732 : RLDC 2016/ n° 140, p. 20, note Vial J-P. ; JCP G 2016, n° 22, p. 610, obs. Brun P.
12 – Cass. 2e civ., 20 nov. 1968 : Bull. civ. II, n° 277 ; RTD civ. 1969, p. 335, obs. Durry G.
13 – Cass. 2e civ., 13 janv. 2005, n° 03-12884 : Bull. civ. II, n° 9, p. 8. RLDC 2005/ n° 15, p. 13, note Voinot P.
14 – Cass. 2e civ., 21 févr. 1979, n° 77-12878 : Bull. civ. II, n° 58, p. 43 ; IR, p. 545, obs. Alaphilippe F. et Karaquillo J.-P.
15 – En ce sens, v. D. 2005, p. 2435 note Cornut E.
16 – C. sport, art. L 321-1.
17 – Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-17732, préc.
18 – Cass. 2e civ., 28 mars 2002, n° 00-10628, préc.
19 – Cass. ass. plén., 13 déc. 2002, n° 00-13787 : Bull. crim. 2002, n° 4 ; D. 2003, Jur., p. 231, note Jourdain P. ; JCP 2003, II 10010, note Hervio-Lelong A. ; LPA 18 avr. 2003, p. 16, note Laydu J.-B.
20 – Cass. ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18141 : Bull. civ. 2007, n° 7 ; D. 2007, p. 2408, note François J. ; RLDC 2007/10, n° 42, chron. Mekki M. ; D. 2007, Pan., 2903, obs. Brun P. ; JCP 2007 II 10150, note Marmayou J.-M.
21 – RTD civ. 2004, p. 106, note Jourdain P. ; JCP G 2004, II 10175, note Buy F ; Gaz. Pal. 14 avr. 2005, n° F5884, p. 9, note Polère P. ; RLDC 2005/04, n° 15, p. 13, note Voinot P. ; JCP G 2007, II 10150, note Marmayou J-M. ; RLDA 2007/9, n° 19, note Rizzo F.
22 – Cass. 2e civ., 5 oct. 2006, n° 05-18494 : Bull civ. II, n° 257, p. 238. D. 2007, p. 2004, note Mouly J. ; LPA 21 févr. 2007, p. 9, note Lafay F.
23 – En ce sens, v. Cass. 2e civ., 13 mai 2004, n° 03-10222 : Bull. civ. II, n° 232, p. 197 – Cass. 2e civ., 22 sept. 2005, n° 04-14092 : Bull. civ. II, n° 234, p. 208.
24 – Cass. 2e civ., 10 févr. 1966 : Bull. civ. II, n° 192.