Droit de la preuve et protection de la vie privée en droit des obligations
Pour les étudiants en
Le droit à la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Arrêt de la 1re civ. de la C.Cass. du 25 février 2016 (n° de pourvoi 15-12403)
Faits :
Le 23 septembre 2001, un artisan est victime d’un accident corporel, la charpente surplombant le puits qu’il réparait s’étant effondrée sur lui. Il réclame alors une indemnisation auprès de l'assureur de la propriétaire de la maison où l'accident s'est produit. Au cours des opérations d’expertise judiciaire diligentées à sa demande, il invoque des troubles de la locomotion. La propriétaire ainsi que son assureur (la société Mutuelles du Mans) contestent cette demande en produisant quatre rapports d’enquête privée.
En 2004, le docteur qui l'examine à l'époque conclut à du « théatralisme » et de la « sursimulation ». Du coup, l'assureur fait appel à un détective privé pour savoir à quoi s'en tenir afin d'établir s'il simulait des troubles de locomotion.
les experts de la compagnie d'assurance concluent que M. X « met en oeuvre un processus de sursimulation de ses troubles, à la recherche de bénéfices secondaires, processus qui n'est pas exempt, comme l'avait relevé le docteur, d'un certain théâtralisme », refusant alors d'accorder les indemnisations.
Procédure :
. L'artisan saisit la justice, pour demander que les quatre rapports du détective privé soient écartés, invoquant une immixtion dans sa vie privée disproportionnée au regard du but recherché, c'est-à-dire la mise en oeuvre du droit de la preuve de l'assureur.
. 9 avril 2013 cour d'appel de Caen rejette sa demande en observant que les enquêtes ont permis la manifestation de la vérité, que chacune a été de courte durée et que les opérations de filature n'ont pas, au total, dépassé quelques jours, de « sorte qu'il ne saurait en résulter une atteinte disproportionnée au respect dû à la vie privée de M. X ».
. L'artisan se pourvoit en cassation.
Solution : atteinte disproportionnée à la vie privée
Viole l’article 9 du Code civil, ensemble les articles 6 et 8 de la Conv. EDH et 9 du Code de procédure civile la cour d’appel qui, pour rejeter la demande tendant à voir écarter des débats ces rapports, relève que chacune des quatre enquêtes privées a été de courte durée et que les opérations de surveillance et de filature n’ont pas, au total, dépassé quelques jours, de sorte qu’il ne saurait en résulter une atteinte disproportionnée au respect dû à la vie privée du demandeur, tout en relevant que les investigations, qui se sont déroulées sur plusieurs années, ont eu une durée allant de quelques jours à près de deux mois et ont consisté en des vérifications administratives, un recueil d’informations auprès de nombreux tiers, ainsi qu’en la mise en place d’opérations de filature et de surveillance à proximité du domicile de l’intéressé et lors de ses déplacements, ce dont il résulte que, par leur durée et leur ampleur, les enquêtes litigieuses, considérées dans leur ensemble, portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée du demandeur.
=> La Cour de cassation annule les 4 rapports du détective privé et rejette la demande d'indemnisation.
La cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.
En effet, « les investigations, qui s'étaient déroulées sur plusieurs années, avaient eu une durée allant de quelques jours à près de deux mois, et avaient consisté en des vérifications administratives, un recueil d'informations auprès de nombreux tiers, ainsi qu'en la mise en place d'opérations de filature et de surveillance à proximité du domicile de l'intéressé et lors de ses déplacements ». Il en résulte que, « par leur durée et leur ampleur, les enquêtes litigieuses, considérées dans leur ensemble, portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. X. ».
La Cour de cassation rappelle que « le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».
Attention, la Cour de cassation ne sanctionne pas le recours au détective privé, mais la longueur de l'enquête. En effet, la Première Chambre a simplement estimé que « par leur durée et leur ampleur » les enquêtes diligentées n’étaient pas proportionnées au but recherché et qu'en conséquence, les pièces afférentes devaient nécessairement être écartées des débats.