06 juin 17:03

Affaire Arlette Ricci : une peine lourde pour l'héritière de la célèbre couturière

Pour les étudiants en

L2

► Faits : 

Arlette Ricci, petite fille de Nina Ricci, a été poursuivie en 2015 pour fraude fiscale, suite à des accusations de dissimulation d’un compte en Suisse (créditeur de plusieurs millions d’euros). Elle est accusée d'avoir caché pendant plus de vingt ans au fisc français un patrimoine de près de 17 millions d'euros. Des révélations qui font suite à la divulgation des listes dites Falciani, du nom de l'informaticien de la filiale suisse de banque privée d'HSBC qui a dérobé à sa banque des listes de clients en 2007 sur lesquelles figuraient notamment 3 000 français.
Pour reprendre les arguments avancés par l'accusation, l’héritière de la célèbre couturière aurait aussi préféré « organiser sa résidence fictive en Suisse » plutôt que de « régulariser sa situation en France », comme l'avaient fait d’autres contribuables cités dans ce dossier. 
Il lui a également été reproché d’avoir frauduleusement organisé son insolvabilité en cédant deux biens immobiliers, une maison à Paris et une propriété en Corse, à des sociétés civiles immobilières (SCI) pour échapper aux sanctions de l’administration. Cette manœuvre fiscale lui aurait été conseillée par son avocat Henri-Nicolas Fleurance, grand fiscaliste de la place parisienne.
Une dette fiscale globale évaluée par le fisc à près de 10 millions d'euros, de quoi engager des poursuites...
 

► Procédure : 

● Le 13 avril 2015 : la 32e chambre correctionnelle du TGI de Paris a rendu un jugement d'une sévérité exemplaire. Pour résumer, compte tenu de la prescription des faits, Arlette Ricci a été reconnue coupable en première instance pour fraude fiscale pour les années 2007 à 2010, blanchiment et faillite frauduleuse. Elle a condamné la principale protagoniste à trois ans de prison dont un ferme et deux avec sursis, un million d’euros d’amende et la confiscation de ses propriétés pour fraude fiscale (pour des faits commis entre 2007 à 2010) et organisation frauduleuse d’insolvabilité (pour des faits commis courant 2009 à 2010).
Son conseil, l'avocat parisien Me Henri-Nicolas Fleurance, a quant à lui écopé d'un an de prison avec sursis, 10 000 € d'amende et a été condamné au paiement solidaire de l’arriéré d’impôt dû par sa cliente.

● Le 19 mai 2017 : la cour d’appel de Paris a rendu un arrêt de confirmation. Elle a atténué les sanctions prononcées en première instance à l'encontre d'Arlette Ricci en lui épargnant la prison ferme mais lui a confisqué ses deux propriétés évaluées à 4 millions d'euros.

 

► Solution de la cour : 

● Sur les faits reprochés à Arlette Ricci de fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et organisation d'insolvabilité : 
Après une perquisition réalisée en 2009, Arlette Ricci est présumée être bénéficiaire de comptes ouverts dans la banque HSBC via 2 sociétés situées au Panama et aux British Virgin Islands (BVI).

La cour estime les faits d'une particulière gravité, qui méritent une sanction significative à l'encontre des protagonistes. A la lecture de l'arrêt, il est reconnu que les faits portent « une atteinte exceptionnelle à l'ordre public économique et au pacte républicain ».
D'une part, la fraude lui a permis de 2007 à 2009 d'éluder au titre de l'impôt sur le revenu et de l'ISF la somme de 1,9 M d'euros et d'autre part, elle a masqué son patrimoine détenu en Suisse à l'aide d'un mode opératoire réfléchi.
Par ailleurs, l'héritière a fait le choix de persister dans son intention de fraude alors qu'en 2009, l'Etat français avait mis en œuvre un dispositif de régularisation.

En tenant compte du préjudice économique mais aussi de la situation de fortune personnelle, de son âge et de sa santé fragile, la cour a donné une appréciation différente s'agissant de la peine d'emprisonnement prononcée en première instance. Elle l'a assortie en sa totalité du sursis avec mise à l'épreuve.

● Sur les faits de complicité d'organisation fiscale d'insolvabilité reprochés à Me Henri Nicolas Fleurance :  
Dans une décision très attendue par les fiscalistes, la cour s'est prononcée sur la responsabilité de l'avocat de la célèbre héritière. Elle ne conteste pas que Maître Henri Nicolas Fleurance est un professionnel averti et admet que le montage financier ne soit pas intrinsèquement illicite. Toutefois, au regard de la chronologie des faits, elle rend une sévère décision à l'encontre de l'avocat fiscaliste.
Les juges reconnaissent que sans le concours de ce professionnel, Arlette Ricci n'aurait pas pu mettre en place la succession d'opérations lui permettant de faire obstacle au recouvrement de l'impôt en France à compter de 2011. En conséquence, elle le déclare coupable de complicité d'organisation fiscale d'insolvabilité.
 

► Pourquoi la responsabilité de l'avocat fiscaliste est-elle engagée dans cette affaire ?

Olivia Dufour, journaliste juridique, est revenue (dans la Gazette du Palais du 23 mai 2017] sur la chronologie des faits qui a conduit la cour à rendre cette solution et engager la responsabilité de Maître Henri-Nicolas Fleurance.

« Arlette Ricci vient le consulter pour la première fois en 2009. Elle lui explique qu’elle est désormais à la retraite et qu’elle a décidé de retourner en Suisse, le pays de son enfance où elle possède un chalet. Son objectif ? Organiser sa succession et dégager des liquidités. Henri-Nicolas Fleurance lui propose donc de céder ses deux biens immobiliers, un appartement dans le 15e arrondissement et une maison en Corse, à deux SCI dont elle détiendra la quasi-totalité du capital. Ces SCI vont souscrire des emprunts d’un montant correspondant aux prix d’acquisition. Cela permet à Arlette Ricci de recevoir une partie du prix de vente en trésorerie (environ 50 %, le reste est nanti auprès de la banque qui prend aussi une hypothèque de premier rang sur le bien) et, si elle le souhaite, de donner des parts à ses enfants pour limiter les droits de succession. Comme les biens ne génèrent aucun revenu, mais supportent des charges (intérêts d’emprunt, taxe foncière, travaux…), le résultat d’exploitation est négatif et génère un déficit foncier au bénéfice des porteurs de parts. Le montage, très classique, a été pratiqué par tous les fiscalistes. Le problème, dans ce dossier, est qu’il intervient en novembre 2009, soit quelques mois après que Arlette Ricci a appris qu’elle figurait sur la liste Falciani et décidé, contrairement à d’autres contribuables, de ne pas régulariser sa situation. La chronologie des événements constitue aux yeux de l’Administration fiscale la démonstration que le montage préconisé par l’avocat avait en réalité pour objectif d’organiser l’insolvabilité de sa cliente en cas de poursuites. Henri-Nicolas Fleurance s’en défend en soulignant qu’elle venait le voir pour la première fois, qu’il ignorait la présence de son nom sur la liste Falciani et qu’à l’époque, elle n’était pas poursuivie, ce qui écarte l’accusation de complicité d’organisation frauduleuse d’insolvabilité. »

 

Consultez la décision rendue par la CA de Paris - Dossier n°15/03218

 

Stéphanie Chrostek

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